Voici les compte-rendus de nos réflexions communes. Petit rappel de courtoisie : vous pouvez les utiliser à condition de citer la source, c'est-à-dire : café philosophie à Saint-Lô, cafephilo-saintlo.jimdo.com

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Café philo du 11 décembre : Qu'est-ce que le génie ?

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La notion de génie avait été évoquée à propos de la créativité de l'enfant. "Le génie c'est l'enfance retrouvée" écrivait Baudelaire. Mais qu'est-ce qu'un génie? Qui est qualifié de génie? Le génie d'Aladdin sort de la lampe magique, la lessive de ce nom évoque la facilité, l'absence d'effort pour obtenir pourtant de bons resultats. Picasso dessinait comme il respirait, comme un enfant, dans sa spontanéité. Est-ce suffisant?
Certains enfants très précoces, en musique par exemple, s'éteignent ensuite. Au contraire Einstein, enfant, ne semblait pas être un génie et a vécu une scolarité difficile, apprenant à lire tardivement. Être un génie est-il un état permanent? N'est-ce pas plutôt le regard des autres qui détermine cet état? On qualifie parfois de "trait de génie" ce qui n'est peut-être qu'une maladresse graphique, volontaire parfois, une formulation enfantine particulièrement originale ou belle. Exemple: "La terre est bleue comme une orange" ( P. Eluard), l'orange se référant plutôt à la forme qu'à la couleur de la terre. Malgré ces "traits de génie", ces différents créateurs ne sont pas tous des "génies".
Exemple de Maria Callas qui exprime avoir beaucoup travaillé pour atteindre la perfection. Mais le génie relève-t-il de la perfection? La perfection respecte les règles de l'art (académisme), que le génie précisément bouscule. "L'enfance de l'art" consiste à redevenir comme un nouveau né pour être créateur, suivre d'autres règles. Interprète, la Callas n'a pas toujours chanté d'ailleurs avec perfection. Est-ce bien la somme de travail qui caractérise le génie? Le génie est plutôt inné, selon son sens étymologique: ce qui est donné à la naissance, ce qui est propre à une personne selon sa nature ( les gènes)- Genius: divinité présidant à la naissance, à la destinée. C'est un don naturel, éminent, source d'inspiration, de disposition hors du commun. Tel est bien le sens du "génie" que donne E. Kant dans le domaine de l'esthétique: un  don de l'esprit, une disposition innée par laquelle " la nature donne ses règles à l'art". Modèle de la création, la nature renouvelle les règles de l'art à travers le génie, conscience intentionnellement créatrice, dont la faculté de créer reste libre et inimitable, "exemplaire" car il est unique. Léonard de Vinci par ex. est génial même si beaucoup de ses inventions n'ont pas été réalisables à son époque, si beaucoup n'ont pas été achevées. Mais ses "disciples", qui ont poursuivi son oeuvre, ne sont pas qualifiés de "génies". La machine capable de voler, par exemple, ne pouvait être concrétisée à l'époque faute de matériaux adaptés. Le génie l'a anticipé, au-delà des possibilités techniques de son temps, et au-delà du désir très ancien de voler
(Icare). Le génie est visionnaire, tels les prophètes, capables d'apporter de nouvelles règles de pensée, de nouveaux paradigmes, qui changent l' histoire de l'humanité: Jésus Christ, Mahomet. ..
Certes le génie s'appuie sur du connu, de l'acquis ( enchaînement des découvertes), mais il s'en détache aussi pour se rapprocher de l'inné, de son pouvoir de créer, finalement mystérieux: "il ne cherche pas, il trouve", voit ce que les autres ne voient pas.
Le film "Amadeus" de Milos Forman montre le génie (plus que la vie) de Mozart, face à Salieri, travaillant autant que Mozart, mais dénué de la capacité de surprendre. Mozart avait des capacités cognitives hors du commun (ex. il a pu écrire le "miserere" d'Allegri en l'écoutant à la Chapelle Sixtine, cette oeuvre étant tenue sécrète) mais son génie transforme l'écriture musicale, qu'il fait passer du baroque au classique.
Plus proche de l'explication de la réalité physique, les scientifiques pourtant inventent des théories, et deviennent des génies lorsqu'ils sortent des cadres fermés grâce à leur imagination créatrice, à leur
intuition, posent des questions inattendues. Exemples de Newton, Einstein, Edison qui invente l'ampoule électrique, saut qualitatif,  après beaucoup d'essais et d'erreurs. Alan Turing invente le 1er ordinateur - idée de génie- pour décoder après beaucoup de travail, les messages nazis, sans quoi le débarquement par ex. n'aurait pas été possible. Le génie est face à une sorte d'évidence même s'il ne peut pas nécessairement expliquer ce qu'il fait. "Eureka!" s'écrit Archiméde. Le génie est plus grand que ce dont la personne peut être consciente. A-t-on conscience d'ailleurs d'être un génie? " Pour moi, Picasso n'est pas un génie car c'est son ego qui le dirigeait." Il a changé pourtant les codes des représentations graphiques, du figuratif à l'abstrait.
Le génie accède à une forme d'universalité, même si tout le monde n'aime pas ou ne connaît pas ses oeuvres (comme Mozart par ex.), car il est mondialement reconnu comme novateur, a fait bouger les représentations, les concepts, à la différence de ceux qui les suivent. Les derniers quatuors de Beethoven, d'abord inaudibles pour les auditeurs de l'époque, injouables, sont reconnus comme des chefs d'oeuvre. Car la nature, qui inspire les génies, est commune aux humains bien qu'elle les dépasse. D'où la création, par ex., de pyramides en Égypte, mais aussi en Amérique latine, bien qu 'il n'y ait pas eu d'échanges.
Certains humains ont du génie; d'autres peuvent avoir au sens relatif, le génie de la guerre, des affaires. .. Richelieu peut être considéré comme un génie politique par la mise en oeuvre de la "raison d'Etat". Le génie est-il sectorisé? Génie militaire, Napoléon a renouvelé la stratégie, mais était aussi capable de mener plusieurs actions de front, simultanément.
N'y-a-il pas de génies du mal? Descartes appelle le "malin génie" un puissance maléfique qui tromperait systématiquement les humains. Est-il en effet possible d'accéder à une vérité? Tout n'est-il pas douteux? Nos sens sont trompeurs, on ne peut pas s'y fier. Les raisonnements peuvent l'être aussi. La "réalité" nous semble évidente, mais le rêve nous montre que nous pouvons être dans l'illusion de vivre quelque chose alors que nous dormons. La douleur même ne prouve pas que le membre concerné existe bien (ex. les amputés). Pourtant, même si je suis trompé par cet être puissant mal intentionné, je pense, et pour penser, il faut être quelque chose ( au moins un être pensant) et non pas rien."Je pense donc je suis". Même faussée, trompée peut-être par un "malin génie", ma pensée existe. Cette évidence permet de sortir du doute. A l'opposé de ce "malin génie", Descartes va démontrer qu'un Dieu "bon" existe, qui a bien fait les choses, de telle sorte que les lois de la nature et l'esprit humain, la raison, puissent concorder. Le "malin génie" a pu prendre aussi une connotation religieuse, diabolique ( dont le violon a pu être considéré comme l'expression, et éloigné donc des églises).
Hitler est-il génial dans le mal? Certes la guerre et ses horreurs ont permis des progrès scientifiques, techniques, médicaux... Mais Hitler avait le génie de manipuler les masses, d'utiliser la faiblesse psychologique de ses interlocuteurs, jouant sur la mauvaise conscience, utilisant leurs certitudes, leurs peurs ( cf. Kissinger). Clausewitz, en 1930, a proposé des règles et une théorie nouvelles de la guerre. Machiavel conseille "le Prince" selon ce qu'il considère être malheureusement la réalité de l'être humain, incapable de suivre la raison et le bien commun; il doit pour gouverner et assurer l'ordre utiliser des moyens immoraux, injustes parfois: la ruse, la force, le mensonge... Machiavel est-il un génie? N'était-il pas doué plutôt d'une grande capacité d'analyse qui renouvelait la conception du "politique"? Conception d'ailleurs incompatible avec la notion de démocratie.
La puissance du génie n'est-elle pas déterminée par des conditions sociales ou économiques? Que serait devenu le petit Mozart sans piano? ("C'est Mozart qu'on assassine"). Mais peut-être n'est-ce pas un hasard si cette conscience a reçu ce don; elle ne l'a pas contrôlé. Notre mémoire semble séparée de nous, peut aller dans le futur et dans le passé, chercher de l'énergie selon notre pensée. Mozart est-il aller puiser des éléments du futur pour créer? Notion de "réincarnation": nous avons parfois l'impression d'avoir déjà connu
certaines choses, d'être déjà venus sur terre. La physique quantique elle-même explique que le passé et le futur n'existent pas. Le génie serait une information énergétique qui nous traverse. Une loi d'attraction permettrait d'attirer à nous ce qu'on pense. Concrètement, tel endroit, à tel moment, incite à nous intéresser à tel sujet, selon une capacité naturelle à attirer l'énergie et extérioriser, libérer quelque chose au lieu de simplement "moudre des informations". Trop réfléchir, trop penser, c'est douter contrairement par exemple à l'entrée en transe (chamanisme). Le génie n'explique pas sa création, qui le dépasse. Exemple d'un livre écrit au 17 ième siècle où un voyageur voyait, dans un pays, de grandes images qui venaient de l'autre bout  de la planète, et s'animaient sur les murs.
Référence aux travaux faits il y a 20 ans sur la mémoire de l'eau ( voulant prouver le fonctionnement de l'homéopathie), selon lesquels les molécules d'eau pouvaient mémoriser des informations contenues dans les particules et les transmettre.
Entre le visible et l'invisible, les médiums retransmettent les informations par "compréhension énergétique". Exemple de la lecture des cartes de Tarot à une personne. Cette force qui nous pousse à faire les choses n'est-elle pas présente alors dans tous les êtres de la nature, végétaux et animaux? Une forme de "transmission" aurait pu être expérimentée chez des singes à qui, sur un archipel, on aurait montré qu'une certaine racine pouvait être mangée: sur d'autres îles ils auraient mangé la même racine sans que cela leur ait été montré. Idem avec des oiseaux (cf. les mésanges et les bouteilles de lait dont elles réussissent à percer la capsule par transmission de représentations mentales.)
Les humains parlent depuis longtemps de la télépathie: pourquoi une pensée ne se propagerait-elle pas comme les sons dans le monde sonore? Nous sommes des émetteurs/récepteurs et une pensée pourrait être captée par un grand nombre de personnes. Notre conscience est considérée comme enfermée dans notre corps qui utilise ses sens pour échanger. Mais tout étant relié dans la nature, pourquoi les consciences humaines ne seraient-elles pas reliées aussi? Référence à l'amour animal, l'amour vibratoire,  mais aussi à la prière. Expérience vécue de la méfiance de personnes lors d'un conflit, méfiance disparue après que l'une d'elle ait ouvert son coeur, seule chez elle; une action réalisée à distance peut être effective par transmission de pensée comme le feraient les ondes radio en véhiculant des informations. Nous percevons aussi des échanges chimiques (phéronomes), qui existent chez les plantes, les papillons... Les pensées ne sont-elles pas produites d'ailleurs uniquement par des phénomènes chimiques, électriques, neuronaux, comme le pensent les "matérialistes"? Cf. "L'homme neuronal" de J.P. Changeux. Ou bien, la pensée n'est-elle pas aussi en dehors de notre cerveau?
Le génie serait aussi la capacité de capter des pensées qui peuvent le transformer. Chacun n'aurait-il pas des pensées de génie, qui finiraient par émerger via un génie reconnu par la société? Le génie n'est-il pas celui en qui se concentrerait, se regrouperait une grande somme d'informations recueillies par l'humanité? Exemple: celui qui a "inventé" le smartphone est-il un génie, en qui se sont produits cette convergence  puis cette émergence d'une invention?
Le génie se situe en dehors de ce qui a été conceptualisé jusque là,  hors normes, puisqu' il renouvelle les règles admises; il ne contrôle pas nécessairement ses intuitions. Même si le travail n'est pas incompatible avec le génie, il ne suffit pas à l'expliquer: le génie en quelque sorte "tombe" sur quelqu'un sans qu'on sache pourquoi. Léonard de Vinci, Mozart, Jérôme Bosch, Magritte...sont reconnus généralement comme des génies. Salvador Dali se considèrait lui-même comme un génie, avec beaucoup d'humour, de dérision. N'était-il pas pourtant fou? Mais cette folie était créatrice: " La différence entre moi et un fou, c'est que moi je ne suis pas fou", écrivait Dali.
Comme le génie, le fou est hors normes. Peut-on apparenter la folie créatrice et le génie? Schumann composait encore alors qu'il était saisi de crises de folis, Van Gogh a été interné plusieurs fois ( et certains
coups de pinceau évoquent cette folie), Nietzsche est mort fou (était-ce uniquement dû à la syphilis?)...
Mais on ne peut pas systématiquement associer folie et génie, tous deux hors normes, car la folie n'est pas toujours créatrice.
Existe-t-il des génies inconnus ou méconnus? Exemple de Buxtehude: n'a-t-il pas créé avant Bach le style de musique qui lui est attribué? Du moins l'oeuvre de Bach aurait-elle pu autant émerger s'il n'avait été précèdé par Bruxehude? Légende d'un homme qui, vivant dans une forêt, a pu résoudre des problèmes jusque là irrésolus qui lui ont été soumis. Etait-ce grâce à sa capacité accrue de méditation, d'écoute et de communication avec la nature, avec d'autres pensées, loin des bruits du monde?
L'ermite, le sage, sont-ils des génies? La philosophie a créé des concepts nouveaux, donné de nouvelles règles, qui ont influencé l'histoire de l'humanité. Le philosophe pourtant ne revendique pas la sagesse puisqu'il ne cesse de la rechercher: philo-sophia. Socrate: "Je sais que je ne sais rien", mais ce savoir est essentiel car on ne cherche rien tant qu'on croit savoir. L'esprit humain n'a pas la capacité de tout comprendre; plus la connaissance progresse, plus surgissent de nouvelles questions.
Le génie, par sa nouveauté, peut rester incompris, déranger (en musique les dissonances de Bartok par ex.). Qu'est-ce qu'un génie? Il est finalement hors normes, en dehors donc des concepts, de toute définition possible. N'est-ce pas ce qui fait progresser l'humanité, dans sa dimension créatrice?

Café philo du 27 novembre : l'enfance, quelle signification ?

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Thème déjà un peu abordé lors du précédent café philo à propos de l'innocence de l'enfant, plus proche de sa naissance, plus confiant, dans sa fragilité, en ceux qui sont proches de lui." Nul ne peut venir à moi s'il ne redevient semblable à ces petits enfants" dit le Christ. Les "saints innocents" massacrés par Hérode, ne sont pas conscients des enjeux, subissent le mal alors qu'ils n'y sont pour rien. Là réside aussi leur proximité avec "la vérité" ( qui sort de leur bouche).
L'innocence est liée avec le mystère, la promesse de la vie: "un enfant nous est né". Encore préservé des soucis de l'adulte, insouciant, l'enfant toutefois ressent les choses, est capable de communiquer avec l'adulte selon ses modes d'expression;  non spécialisé, il a la capacité de s'intéresser à tout.
Selon l'étymologie latine, l'enfant, l' "in-fans "est celui qui ne parle pas. Sa relation à l'autre, pourtant existante, ne passera par le langage, d'abord parlé, que grâce à l'apprentissage de sa langue maternelle. Cet apprentissage lui donne en même temps accès au monde de l'abstraction,  à la possibilité d'utiliser un mot, un concept, au lieu de montrer la chose pour s'exprimer. 
Cf. "L'enfant sauvage" de l'Aveyron, Victor, trouvé dans une forêt, à qui on a difficilement fait acquérir un certain niveau de langage: ex. prononcer le mot "lait", au lieu de montrer du lait pour en demander.
L'enfant est donc plus spontané, a un regard plus neuf, contemple facilement la nature, joue avec ses éléments avant même de jouer à imiter les adultes. Des peintres comme Courbet ou Corot ont représenté des enfants contemplatifs, au regard neuf porté sur un paysage, ou jouant, ce jeu pouvant être plus ou moins sauvage, comparable parfois à celui des petits des animaux.
La notion d' "enfance de l'art" comporte l'idée que l'artiste doit retrouver cette part d'enfance pour créer. Paul Klee, Cézanne, Renoir, par exemple, souhaitent être comme un nouveau né pour faire oeuvre de création, de créativité, lutter contre l'académisme. Selon Baudelaire, le génie n'est autre que "l'enfance retrouvée". Car l'enfant est créatif dans le jeu et sa découverte du jeu est en même temps la découverte du "je", doué d'une grande sensibilité, ouvert sur l'imaginaire, et fondé sur la gratuité. L'enfant atteint à 7 ans "l'âge de raison": il commence à accéder au raisonnement logique, à prendre part à la rationalité du monde des adultes. Il a selon Freud résolu le "Complexe d'Oedipe", pouvant ainsi se situer dans le triangle familial mère, père, enfant.
André Breton déplore, avec les surréalistes, que l'éducation favorise la raison à l'exclusion presque totale de l'imaginaire ( il ne faut pas "rêver" à l'école, ni être "dans la lune"). Or l'imaginaire est aussi réel que le rationnel, ils sont l'envers et endroit de la même médaille: notion de "surréalité".
Certes, la force de l'artiste peut être puisée dans l'enfance, spontanément créatrice, mais l'enfant produit-il des oeuvres d'art ? Ne faut-il pas aussi une maîtrise, inculquée par la culture, par l'éducation?
Le jeu de l'enfant, contrairement au travail, reste dans l'imaginaire, dans la gratuité, ne rapporte rien. Le travail est la réalisation d'une idée dans la matière, ce qui suppose parfois une certaine pénibilité -voir l'étymologie du "travail": "tripalium", instrument de torture-. Il doit permettre d'assurer la subsistance des humains, être productif, rentable, et s'effectue donc  en échange d'un salaire ou d'un profit. Ce n'est pas le cas du jeu de l'enfant. Si l'on peut parler du jeu des petits des animaux, l'animal, au sens propre ne "travaille" pas puiqu'il suit son instinct (ex. les fourmis), et non pas une idée qu'il voudrait librement concrétiser ( lorsqu'il ne s'agit pas d'un travail "aliéné" par la société).
Moins ancrés dans notre culture, les enfants peuvent nous remettre en question, nous faire évoluer. L'adulte qui joue est conscient de jouer, mais l'enfant n'est pas dans l'interprétation de son jeu. Selon une étude de sociologie, les enfants par ex. qui font tomber une pile de boîtes de conserve dans un magasin, en rient jusqu'à 7 ou 8 ans. Plus âgés, ils s'inquiètent de ce qui va arriver ensuite. L'enfant joue gratuitement mais le jeu est nécessaire à son bon développement, il permet le contact avec le monde extérieur, introduit une part d' affectivité; l'enfant ne peut se développer sans relations avec les adultes, sans être touché, en dehors même de la nécessité
d'être nourri, protégé... Exemples des orphelinats en Roumanie où de très nombreux enfants, élevés sans aucun aspect affectif, restaient gravement carencés; des enfants, nourris à travers une vitre pour des raisons immunitaires, n'ont pas eu un développement intellectuel normal; cas de Kaspar Hauser, retrouvé dans une cave, malheureux dans un monde où il n'avait pas eu les contacts et les liens affectifs propres à l'enfance. La théorie de l'attachement de Bowlby montre l'importance de l'affectivité qui relie le nourrisson à  sa mère pour les humains; sans ce lien les nourrissons dépérissent. Konrad Lorentz montre l'attachement de l'oie à la première main qui la nourrit ; des études ont montré que les petits singes, bien qu' alimentés, dépérissent de ne pas être nourris par une vraie mère. S'ajoutent pour les humains les problèmes de relations sociales. "Tout se joue avant 6 ans" , ce livre du Dr F. Dodson montre que ce qui n'a pas eu lieu avant cet âge peut difficilement être rattrapé ( plasticité cérébrale...) car c'est alors que se met en place la future éducation.
Car un dialogue s'instaure entre les enfants et les adultes, d'autant plus que les parents sont moins "autoritaires". S'il est important de situer l'enfant dans un "cadre" et de lui permettre l'accès à l'autonomie, peut-on parler de la responsabilité de l'enfant? Spontané, l'enfant teste la valeur de ses actes aux réactions des parents (ex. s'il tire la langue, il va faire rire et répétera cette mimique). Bien que conscient de ses actes l'enfant n'en est pas encore responsable ( du moins jusqu'à 6 ans environ) car il ne peut pas "répondre" de ses actes. Sorti de l'enfance au moment de la puberté, l'adolescent accède par ex. à la majorité sexuelle à l'âge de 15 ans.
Il faut dépasser l'enfance pour accéder à l'âge adulte, même dans le domaine de l'art. L'enfant dessine sans faire d'oeuvre d'art. Exemple pourtant d'une enfant qui peignait tout le temps spontanément dès 5 ou 6 ans, créait de véritables oeuvres d'art et avait un atelier à 13 ans. Mais ne s'agit-il pas là d'une forme d'autisme? Enfermée dans son monde, elle a délaissé d'autres domaines importants de sa vie, a manqué peut-être d'interactions, de relations avec les autres. Faut-il enfermer l'enfant dans une seule activité, le menant éventuellement à la compétition? Ou lui permettre de s'enrichir dans d'autres domaines? Exemples des "petits rats de l'opéra", de Mozart dont l'enfance est très contraignante, mais aboutit justement à la véritable création, voire au génie.

Toute enfance n'est pas vécue comme heureuse, et certaines sont très tôt confrontées aux problèmes des adultes. L'enfant a aussi ses propres angoisses, ses propres peurs, qu'il ne sait pas nécessairement communiquer, mais dont il peut aussi "jouer"  auprès de ses aînés, de ses parents. L'éducation impose aux enfants des frustrations, que la notion d' "enfant roi" à notre époque tendrait à faire disparaître. Les parents sont-ils plus attachés à leurs enfants depuis que la mortalité infantile a considérablement diminué ( Élisabeth Badinter)? Les lettres, par ex. de Mme de Maintenon, qui a élevé les enfants de Louis XIV, expriment pourtant combien il était douloureux de les voir mourir. Très affecté de la perte d'un enfant, Louis XVI n'a pas alors pris les bonnes décisions; Mozart, Smetana, Dvorak, Malher, expriment leur grande douleur jusque dans leur musique.
Référence au livre de Kinsinger: les adultes ont besoin de sécurité, de justice, comme les enfants donc. L'adulte protège l'enfant, le rassure, l'accompagne, lui apporte des réponses adaptées à son âge. Exemple d'un enfant à qui on avait caché la mort de sa grand-mère, et qui aurait eu besoin qu'on mette en mots cette douleur avec confiance et sincérité.
Paradoxalement le rôle de l'éducation est de faire sortir d'une enfance dont on peut regretter par la suite l'insouciance, la joie, la créativité qu'il faudrait donc ,adulte, chercher à retrouver ou à trouver. Référence à la "petite madeleine" de Proust: une odeur, un parfum, un paysage... nous relient à notre enfance et nous rendent heureux, cette enfance étant comme le socle sur lequel repose notre vie.
Est-il si simple de distinguer, jusque dans l'enfance, ce qui vient de la nature humaine et ce qui vient de la culture? L'enfant n'est-il pas égoïste, ayant de la difficulté à partager? A-t-il un sens de la justice? "Ce n'est pas juste" est un jugement qui revient souvent dans la bouche des enfants. Qu'est-ce qui est inné, acquis? N'y-a-t-il pas une interaction entre les deux, et avec l'aspect physiologique? Une éducation presque similaire ne crée pas des enfants similaires, des frères et soeurs peuvent ne pas avoir le même regard sur les choses.
Très mystérieuse, l'enfance se construit aussi par les interactions, les rencontres, l'environnement.
L'enfance est plus libre, ne s'impose pas toutes les containtes de l'adulte, ne cherche pas toujours à se "justifier", se sent moins contrainte par les normes du groupe, par ex. la contrainte de la rentabilité, de l'argent. Même le retour à la nature de certains adultes se référe au profit: le "bio" devenu industriel loin de l'ouverture d'esprit, de la créativité, dont la nature peut être le modèle.
La méditation ( lorsqu'elle n'est pas incluse dans le consumérisme) fait retrouver la joie de l'enfance par la contemplation, la nouveauté du regard, désencombré des contraintes sociales, de l'injonction de la vitesse et de l'efficacité. "Prendre le temps". L'enfance se pose des questions dont elle ne possède pas déjà les réponses toute faites. En ce sens, l'enfance est philosophe,  s'étonne, s'émerveille, prend la vie avec légèreté, chante, danse, non encore apesantie par le poids de la culture. Cette "naïveté" du regard a pu être le modèle du philosophe, pour Nietzsche par ex. , prônant le "Gai savoir". "Que dit ta conscience? Tu dois devenir celui que tu es. "
Des expériences ont été faites d'introduire la philosophie en classe maternelle, correspondant à "l'âge métaphysique"(5 ans).
Si "retourner en enfance" peut être péjoratif, être "un grand enfant" l'est beaucoup moins.
"Le petit prince" de Saint Exupéry enseigne à l'aviateur l'essentiel de la vie par ses questions spontanées, sans a priori. Le dialogue en réalité se fait avec son enfant intérieur, qui pourra lui redonner sa curiosité, son questionnement, son étonnement, pour retrouver son chemin de vie .
Notre enfant intérieur sait qui on est : en devenant adulte et conscient nous nous tournons vers l' exteriorité, l'objectivité. Il nous faut reconvoquer notre enfance pour être guidé par notre étoile de vie. C'est à nous de ne pas faire disparaître cette enfance pour en garder la joie.

Café philo du 6 novembre : y a-t-il une puissance supérieure qui nous dirige ?

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Synthèse du CAFÉ PHILO du 6 novembre 201
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De quel ordre pourrait-être cette puissance? Supérieure à la conscience humaine puisqu'elle nous dirigerait...Dieu, le destin, la Nature? Ou peut-être inférieure, de l'ordre de l'instinct, du hasard...?  N'est-ce pas réducteur pour notre liberté, puisqu'il semble que nous pouvons conduire notre vie dans toutes les directions? Les scientifiques s'aperçoivent que tout est organisé. Penser que cette organisation est due au hasard (à "rien" d'autre qu'elle-même), équivaudrait à penser qu'un archer décocherait sa flèche à l'autre bout de l'univers. Y-a-t-il plutôt une force qui nous organiserait vers le bien, ou vers le mal, d'où viendrait cette dualité sur terre? Ou la Sagesse suprême d'un Dieu qui gouvernerait le monde, une Providence le conduisant malgré tout vers le Bien?
"La Formule de Dieu" ( José Rodrigues dos Santos Ed. Pocket 2013) pose cette question à travers une discussion entre Nietzsche et Hitler. Est-on ou non dirigé? Cette réflexion tend à montrer qu'on serait davantage orienté par notre instinct que par un être suprême, car Dieu ne nous dépasse pas, et la science prévoit un effondrement de l'univers ( Big crunch). Inconscient, notre instinct pourrait donc nous faire avancer malgré nous, nous dominerait et nous serait supérieur en ce sens. Nos émotions aussi nous déterminent: nous sommes soumis à notre peur, par ex. en montagne, nous n'avons finalement pas osé aller contempler ce magnifique coucher de soleil... La mort peut nous faire peur; nous ne serions pas mortels si nous étions supérieurs à l'être suprême.
La force supérieure qui nous dirige n'est-elle pas la nature, ses lois, et le cosmos autour de nous? Malgré la puissance parfois destructrice de l'action humaine, la nature, l'univers, subsisteront. La pierre qui roule le long d'une pente, disait Spinoza, si elle pensait, se croirait libre de dévaler cette pente alors qu'elle dévale selon sa propre nature et la nature de la pente. Être libre pour un être conscient consiste alors en la prise de conscience de ce qui détermine son trajet afin de l'effectuer en toute connaissance de cause, de savoir ce pourquoi il est fait, de réaliser pleinement sa propre nature. Exemple d'un sportif ou d'un écrivain, qui peuvent mettre un terme à leur carrière, à leur oeuvre, une fois qu'elle est accomplie. Mais sait-on toujours ce pourquoi on est "fait"? Sommes-nous vraiment "faits" pour quelque chose?
Les religions cherchent un sens à la vie et à la mort à l'extérieur de la nature. Mais les animaux vivent dans un monde où la mort a un sens à l'intérieur de la vie. Ex. un chat qui mange une souris, un oiseau. Selon une forme de régulation naturelle, ce sont les animaux faibles qui seront chassés et tués. D'où viennent cette nature et ces lois ? Il n'y a pas de réponse scientifique à cette question, mais des choix de pensée, des sens différents à donner à nos expériences, à nos vies…
Michel Onfray pense que l'enjeu de notre vie se situe uniquement dans la matière ( cf. le livre "Sagesse"), que "rien" ne gouverne le monde. L'adaptation des animaux par ex., la sélection, se font par l'environnement ( ex. le long cou des girafes) et non par l'effort d'une sorte de volonté (les animaux les plus petits meurent). La bonne conduite consiste davantage à suivre des exemples que des théories plus ou moins fumeuses. C'est une activité chimique dans le cerveau qui nous donne l'impression d'être libre et il n'y a rien qui ne soit immanent à la matière.
L'écrivain Jean-Paul Dubois ( prix Goncourt 2019 ) déclare n'écrire qu'un mois par an et le reste du temps se promener, aller à la pêche...Sans doute est-il doué d'une faculté exceptionnelle. Mais lorsqu'il "bulle", ne mûrit-il pas les choses au fond de lui-même, comme un cheminement qui se ferait tout seul? L'écriture vient-elle de lui ou est-elle inspirée par quelque chose qui le traverse et qu'il retranscrit sur le papier? Sans doute éprouve-t-il du plaisir à le faire: phénomène seulement chimique et cérébral ( sérotonine dans le cerveau en plus grande quantité), ou découverte au fond de soi de quelque chose qui nous dépasse? Totale immanence, ou transcendance ( ce qui nous "traverse")?
La psychogénéalogie étudie la mémoire que nous avons de nos ancêtres, la transmission de quelque chose de générationnel pouvant provoquer la répétition d'événements. Cf. Anne Ancelin Schutzenberger "Aie mes aïeux". Cas d'énurésie des parents, des enfants, par ex., provoqués par un drame familial, noyade d'une aïeule, deux ou trois générations avant. Les inconscients se
retrouvent. Cette transmission inconsciente nous dirige. Ce pourrait être aussi une configuration du cerveau qui se transmettrait, une influence du génome.
Si une "petite voix" nous guide dans une direction, elle est là en fonction de tous nos acquis, de toutes nos expériences, et non pas seulement "innée" comme une lumière intérieure qui nous éclaire ( la conscience). Si nous ne sommes pas là pour rien, c'est donc pour une certaine fin.
Pourquoi naître si c'est pour mourir? Certes, savoir qu'on va mourir nous aide à "profiter" de la vie, à nous battre, mais en vue de quelle fin? Ce serait bien de savoir peut-être ce qu'il y avait avant la naissance. La mort, selon Platon, libère l'âme de la prison du corps, qui nous enferme dans les limites de l'espace et du temps. Le corps peut être dans un lieu, et l'âme penser à tout autre chose. Sa mort n'empêchera donc pas Socrate, ayant bu la ciguë, de continuer à philosopher, plus proche du monde des Idées. C'est l'âme qui dirige le corps et non l' inverse.
Qu'est-ce qui nous permet de vivre au mieux? De penser qu'il n'y a "rien", qu'il y a "autre chose" ? "Je suis heureux quand je pense qu'il y a autre chose". Croire à cette "autre chose" est, selon Boris Cyrulnik, indispensable à l'équilibre de la vie, est essentiel pour rendre l'homme vivant. Le vide intérieur, prôné par le bouddhisme par ex., nous débarrasse de notre ego, de nos déterminations sociales, de notre soumission aux choses, à la matière, pour nous faire accéder au "nirvana", à la paix, la sérénité. Du moins la vie intérieure est-elle à découvrir pour savoir vers où nous diriger, quel sens nous voulons donner à notre vie. Mais peut-être faut-il d'abord se tromper de chemin avant de prendre conscience de ce qui nous convient. La sagesse s'acquiert "quand on devient vieux", après avoir vécu de multiples experiences.
Jésus pourtant, enfant, enseignait aux adultes dans le temple et savait donc déjà ce qu'ils ignoraient. De ce changement de positionnement, ce mouvement de bascule, persiste l'idée que les enfants détiennent la vérité ("la vérité sort de la bouche des enfants"). Le Christ pourtant a dû vivre par la suite son chemin d'homme, avec ses contradictions, le désert, les doutes. Mais " nul ne peut venir à moi, proclame-t-il, s'il ne redevient comme ces petits enfants", qui lui sont présentés. Car l'enfant a confiance dans la parole de celui qui le guide et ne cherche pas encore à s'en détourner. Plus proche du monde d'avant la naissance, conscience universelle où on saurait les choses, l'enfant est réceptif à la communication véritable, à la transmission. L'amour est la puissance par laquelle nous sommes créés (procréation) , et pour laquelle, selon le christianisme, nous devons vivre jusqu'au-delà de la mort, car l'humanité est créée non pour mourir, mais pour vivre par cet Amour, origine et fin de toute chose (alpha et omega). Heureux donc ceux qui vivent dans l'amour; malheureux ceux que trouble la haine.
Mais choisit-on ou sommes-nous poussés à être "croyants", agnostiques (nous ne pouvons pas "savoir"), contemplatifs, actifs...? Ou n'est-ce pas aussi un peu par "hasard"? Cette notion a un sens psychologique: je reçois une tuile sur la tête; est-ce un hasard ou étais-je visé ? Si la tuile tombe sur le trottoir, sur un couvercle de poubelle, on ne parle pas de hasard. Le "hasard" s'oppose au "destin": ce qui ne peut pas ne pas arriver, car c'est l'ordre logique des choses, l'enchaînement des causes et des effets lancé dès le commencement du monde. Les stoïciens distinguent "ce qui ne dépend pas de nous" , "ce qui arrive", le destin, et "ce qui dépend de nous":  nos représentations, nos jugements portés sur "ce qui arrive". Ex. il pleut. Je peux gâcher ma journée, être de mauvaise humeur, ou "vouloir ce qui arrive" comme un bien, puisque conforme à l'ordre des choses. Il convient donc pour être heureux de conformer ses désirs à l'ordre des choses.
Référence à un accident de bateau récent ayant entraîné la mort des enfants: faute, imprudence, enchaînement de circonstances ( problème de moteur, tempête...). Sans doute ne faut-il pas juger les personnes concernées.
Mais la connaissance des lois de la nature, du déterminisme qui la dirige, permet d'agir sur la nature pour notre propre usage: naviguer, voler, se chauffer etc.. Certes, ni la science ni la technique ne sont encore parvenus à créer la vie ( dont la complexité de l'origine nous échappe ) ni à vaincre la mort, considérée comme un échec de la médecine; l'ambition du transhumanisme est bien d'y parvenir un jour ( homme augmenté). Est-il souhaitable qu'il y parvienne? La mort des autres nous interpelle, nous interroge.
Des insectes, éphémères, ne vivent qu'une journée. Nous avons la chance de vivre plus longtemps;  notre vie reste pourtant éphémère. Cet accident d'avion auquel telles personnes ont échappé appartient-il au destin? Ont-elles eu de la "chance"? Concours de circonstances? Ou bien l'heure de la mort n'était pas venue pour ces personnes? Le jugement humain interprète l'accident comme une catastrophe ( le soir du réveillon...il y avait un poteau...). Peut-être n'en est-elle pas une à une échelle supérieure? Une mort précoce permet d'échapper à des expériences douloureuses. Qui sait ce qu'il se passe après la mort (lumière, sérénité...) ? Y-a-t-il vraiment une "explication", bien qu'on ne puisse pas se faire à l'idée de la mort des proches?
La science contemporaine est notre mythologie moderne, comme le pense l'astrophysicien Michel Cassé, un point de vue parmi d'autres possibles, une interprétation, fondés sur l'exigence du savoir et de l'efficacité dans le développement réciproque des sciences et des techniques. Cette rationalité scientifique (ex. théorie du Big bang), n'est pas la Vérité de ce qu'est l'univers, qui dépasse notre pensée. Par l'espace, je ne suis qu'un point dans l'univers, dit Pascal, par la pensée je le comprends. Je suis donc capable de me situer au-dessus de l'univers, pour prendre conscience de ma petitesse face à son immensité, à sa grandeur infinie. Une vague peut me tuer mais elle ne le sait pas; je le sais. Je peux penser que dans la plus petite particule, tout l'univers est contenu; que tous les systèmes seraient construits sur le même modèle dans l'immensité de l'univers. L'univers est un objet de ma pensée, même si elle ne peut en détenir la connaissance parfaite.
"Je sais que je ne sais rien" disait déjà Socrate, mais ce savoir est essentiel puisqu'il conditionne le questionnement et la réflexion, fondés à la fois sur la cohérence de l'argumentation et la cohérence d'une vie conduite selon ce que nous pensons approcher de la vérité et du bien. La raison éclaire le choix du sens que nous voulons donner à notre vie, donc notre liberté; et notre liberté oriente notre raison selon nos motivations, nos aspirations.
Il s'agit d'un long cheminement, d'un échange avec ce qui nous entoure, avec ce qui nous dépasse et savons ne jamais pouvoir détenir. Nous ne sommes pas tout seul mais reliés aux autres, à la nature, à un inconscient collectif auquel appartient notre inconscient personnel, à la transgénérationalité dont même les traits psychologiques peuvent être transmis par le noyau ADN; nous en gardons l'empreinte.
Cet inconscient est comme la matrice dans laquelle nous baignons, et cette "conscience collective" est à redécouvrir par delà l'augmentation de notre conscience. Nous communiquons avec cette "puissance supérieure" à travers ce que nous vivons, apprenons, ce qui reste inscrit dans nos blessures... Chacun est relié à cette "puissance" qui nous relie donc tous et que nous pouvons appeler "Dieu" bien qu'elle ne soit pas religieuse. Elle nous guide dans la mesure où nous communiquons avec elle dans un échange spirituel, nous aide à nous épanouir d'autant plus que nous allons vers elle. Nous rendant présent au monde présent, la méditation nous relie à cette puissance. Dans sa volonté de tout savoir, notre époque bute sur la source, qui lui échappe. Là se situe notre liberté, le choix de nos options de vie, de nos "croyances" ou de nos refus de croire. En ce sens, la "puissance supérieure" qui nous dirige ne nous détermine pas au détriment de notre liberté, mais nous guide dans la direction de notre vie à travers nos échanges et ce qui nous relie.

Café philo du 16 octobre : Se connaître soi-même : est-ce possible ou ne se connaît-on qu'en interagissant avec les autres ou avec la nature?

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Café philo du mercredi 16 octobre 2019

Se connaître soi-même : est-ce possible ou ne se connaît-on qu'en interagissant avec les autres ou avec la nature?

Peut-on s'observer soi-même par sa propre conscience- introspection- pour savoir ce que nous sommes, ou qui nous sommes? Que signifie se connaître soi-même? Référence humoristique à un instructeur de police : "Quand on croît qu'on est son propre maître, on est l'élève d'un imbécile". Le baron de Munchhausen se sort des sables mouvants en se tirant lui même par les cheveux. Est-ce possible? Peut-on évoluer soi-même par sa seule pensée? La référence à un regard extérieur, le regard de l'autre, est nécessaire pour appronfondir son propre Soi. Nous avons besoin de la reconnaissance des autres, de la relation avec les autres pour à la fois nous connaître et évoluer. Beaucoup par exemple, font l'expérience de rester les mêmes alors que leur enveloppe vieillit visiblement au fil du temps. Nous avons l'expérience de notre unité, de notre continuité, en même temps que celle du changement, de notre évolution. Exemple: "un livre qui m'avait transcendé il y a 20 ans, ne me plaît plus du tout maintenant". Une somme de petites connaissances de soi s'acquiert selon les moments par l'écoute des paroles des autres, des paroles d'enfants par ex.( plus "vraies"). Nos pensées ne s'enrichissent qu'au contact avec les autres. Nous ne savons pas ce que nous sommes et pourtant nous savons que nous évoluons au fil du temps.
Mais sommes-nous ce que nous renvoie le regard de l'autre? L'autre correspond-il à l'image qu'on a de lui ? Le moi social correspond-il à notre véritable intériorité -le Soi ? "Persona" en grec signifie le "masque", masque social du "rôle"que "je" joue dans la société. Ce masque est acquis, modifié en fonction de la société dans laquelle nous vivons, des relations que nous avons avec les autres. Qu'y a-t-il derrière le masque?
Certains jugements peuvent nous blesser, nous déstabiliser; ils ne sont pas toujours fiables ( ex. ce n'est pas parce qu'on me dit: "Tu es un con" que je considère en être un). L'environnement social peut nous pousser à certains choix, mais une petite voix nous dit de ne pas faire ce choix là. Se connaître ne change pas notre "destin": nous choisissons certaines voies qui nous conviennent et en excluons d'autres. Se connaître permettrait juste de faire ces choix en connaissance de cause, donc en ce sens plus librement. Mais on peut mieux se comprendre soi-même au fil du temps, évoluer et faire d'autres choix, selon nos libertés. Il arrive par ex., de ne pas aimer les maths et de se mettre à en faire plus âgé parce qu'on en a besoin, ou les redécouvrir plus tard parce que la société ( l'école, un professeur...) nous avait refusé d'en poursuivre l'étude. Il est possible de connaître davantage ses goûts, ses forces, ses faiblesses...qui évoluent avec le temps. L'épanouissement de soi nous incite à faire des choix entre le "bien" et le "mal". Mais est-ce
qu'Hitler, par ex., pensait faire des mauvais choix?
Ne faut-il pas se retirer de la société, du regard des autres, pour dépasser le "masque" et se connaître soi-même, évoluer selon sa propre intériorité ? Ex. des ermites ou des communautés religieuses contemplatives.
La "méditation", à la mode actuellement, permet-elle de se connaître? Il faut la distinguer d'une forme de "développement personnel" visant à favoriser notre propre efficacité et rentabilité, au profit d'un "bien-être" inclus dans la société de consommation, tournée vers l'extériorité plutôt que vers notre intériorité ou spiritualité.
La méditation, ou la contemplation philosophique, cherchent quelle est l'essence des choses; qu'est-on au fond? Qui suis-je profondément? "Connais-toi toi-même" était le précepte de Socrate.
Comment faire? Nous sommes encombrés de préjugés, d'idées toute faites, qu'il faut d'abord déblayer pour atteindre le fond de notre être. La "dialectique" de  Socrate, fondée sur le dialogue avec un interlocuteur, doit aider à se libérer par le questionnement, la remise en question de nos pensées, du bien fondé de nos réponses, de nos paroles. La mère de Socrate était sage-femme; il se présentait lui-même comme un "accoucheur des esprits" (maïeutique). "Connaître" signifie selon l'étymologie "naître avec", comme "conscience" signifie "savoir avec", savoir ce qu'on fait, se regarder vivre. La naissance est aussi découverte de soi, dévoilement, favorisés par la relation à l'autre, le dialogue avec l'autre dont les questions poussent à faire sortir les vérités cachées en soi.
Approfondir la parole c'est approfondir la pensée, car on pense avec des mots, appris. C'est pourquoi le passage d'une langue à l'autre n'est pas seulement une différence de mots, mais de formes de pensée. D'où la difficulté des traductions. Ces différences de pensée, malgré une certaine connaissance de la langue, nous font parfois ressentir l'autre comme "étranger". Mais il est possible aussi de découvrir en soi des choses qu'on n'aime pas, de se retrouver comme étranger à soi-même. Le refus de cette prise de conscience est analysé par Sartre comme la "mauvaise foi ": ne pas vouloir savoir pour ne pas, peut- être, avoir à changer son propre comportement. Ex. du raciste qui se sent supérieur du simple fait de ne pas être noir ou juif...sans rien faire par ailleurs. On ne veut pas se connaître, ni connaître nos vraies motivations parce qu'elles sont inavouables. L'inconscient ( le non-conscient) est, selon Sartre, un choix de la conscience et non un processus de refoulement qui nous déterminerait malgré nous comme le pense Freud: le refoulé est à l'origine des symptômes de maladies mentales, par ex., qui disparaissent si on parvient à en prendre conscience grâce à la psychanalyse. La conscience est notre vrai moi, notre liberté que rien, selon Sartre, ne détermine: ni Dieu, ni destin, ni nature humaine. Nous aurions pu ne pas naître et personne n'attend rien de nous. Cette prise de conscience est difficile ( cf "La nausée"), mais débouche justement sur notre liberté totale de choisir nous-mêmes le sens de notre existence. La connaissance de soi passe donc par la prise de conscience existentielle de cette liberté. Ne pas vouloir se connaître est encore un choix. Notre société, "aliénante", et la relation aux autres, limitent toutefois cette liberté, la détournent. En même temps, nous avons besoin de la reconnaissance d'autrui pour exister, et le jugement que porte sur nous le regard de l'autre fige cette liberté: l'autre me définit "beau", "laid", "courageux" etc. me "colle une étiquette" sur le front. C'est pourquoi, "l'enfer c'est les autres" ( Huis-clos). Les autres empiètent sur ma liberté et il m'est impossible de m'en défaire: il n'est pas besoin de bourreau dans cet enfer, "chacun est un bourreau pour les autres", ce qui rend impossible tout véritable échange puisqu'on ne se livre pas à son bourreau. Toutefois certaines "situations" de l'existence, parfois contraignantes (ex. la guerre), la confrontation aux autres, peuvent nous obliger à faire des choix, donc à exercer notre liberté, inséparable de la conscience.
Si le vrai "moi" est la conscience, l' inconscient n'est-il pas exclusivement négatif? La " mauvaise foi" restreint l'inconscient à l'inavouable; mais il existe toujours un soupçon sur nos motivations. Ce qui échappe à notre conscience peut être positif, de même que le choix de ne pas connaître ce dont notre moi intérieur ne veut pas. Il est difficile de se connaître soi-même car on ne sait pas ce qui vient de soi et ce qui est reçu. Ce qui me vient à l'esprit est une nouveauté, et en même temps, je le savais pourtant déjà. Exemple de l'écrivain qui a l'impression que les idées ne viennent plus de lui, que tout est déjà là selon l'impulsion initiale. Les romanciers disent que leurs personnages ont leur propre existence, qu'ils s'imposent à eux. De même pour les peintres, les sculpteurs, dont la création est issue d'une lente maturation, d'un long travail...mais inventent-ils vraiment quelque chose?
Se penser comme écrivain est déjà une connaissance de soi, mais l'impulsion venue de l'intérieur, pourtant n'est pas consciente. Exemple: "J'ai cru entendre lors d'un trajet en voiture, mon téléphone sonner; en fait non, et cela m'a impulsé une idée." N'y a-t-il pas une source inconsciente de nos idées? Des études d'expériences de mort imminente ont montré que le cerveau était le siège de la manifestation de la conscience, l'organe qui capterait les éléments du conscient tandis que la conscience serait autour de nous. Il y aurait un réservoir d'inconscient dans lequel  nous serions tous reliés, sorte d' inconscient collectif. Chacun a l'impression d'être isolé dans son identité, mais ce ne serait pas le cas. La connaissance de soi peut donc être reliée à la connaissance d'autrui, dans une quête commune, une relation d'amitié et de confiance réciproque, contrairement à la méfiance sartrienne qui vise à se préserver de l'autre. Aristote affirmait déjà qu' "on ne connaît personne sinon par l'amitié" , chaque personne se créant aussi par ce lien d'amitié réciproque. L'autre ne détruit pas ma liberté si nous avançons, évoluons ensemble.
La nature semble empiéter aussi sur notre liberté, elle nous résiste, nous oblige à la travailler, paraît hostile parfois. Mais cette relation à la nature suscite en même temps un perpétuel apprentissage, favorise la connaissance et la réalisation de soi. L'être humain fait partie de la nature; être en lien avec elle contribue à se sentir en accord avec soi-même, avec ce qu'on veut, ce qu'on choisit de faire. Nous sommes incarnés, et cette incarnation est la condition de notre évolution. La conscience se distingue du corps. "La conscience meurt avant le corps", écrit Lawrence d'Arabie, au sens où cette conscience ne veut plus descendre dans le cerveau. Référence aux 21gr que pèserait l'âme car un corps mort pèse 21gr de moins que ce même corps vivant. Un corps peut aussi être transformé en pure énergie qui se déplace (e=mc2). Ce serait la nature ultime d'une existence.
La connaissance de soi peut inclure des données scientifiques, sociologiques, psychologiques...  mais elle va au delà. Qui suis-je? D'où je viens? Où vais-je? Ce sont les grandes questions "existentielles" que se pose l'être humain ( en dehors de la réponse de Pierre Dac: "je viens de chez moi et j'y retourne"). Chacun se pose finalement la question du sens de sa propre vie, et de sa propre mort. C'est le titre d'un tableau de Paul Gauguin: "D'où venons-nous, qui sommes-nous, où allons-nous? " Nous passons de l'enfance à l'adolescence, puis à l'âge adulte et à la vieillesse sans qu'on n'y puisse rien. Quel est le sens de toutes ces "petites morts" à nous-mêmes? Accusé entr'autres de corrompre la jeunesse, Socrate est condamné à boire la ciguë. Au moment de mourir,  il rassure ses amis: je vais perdre mon corps mais je serais libéré de cette prison qui me retient dans les limites de l'espace, de la matière, du temps. Le sens de la vie pour Socrate est la philosophie, c'est-à-dire la recherche, l'amour de la sagesse, visant à conduire sa vie selon ce qu'on peut savoir de la Vérité, du Bien, de la Beauté. Cette recherche est menée par la pensée, l'âme immatérielle, qui donc demeure après la mort corporelle. Libérée de la prison du corps, l'âme se rapproche davantage de la contemplation de cette Vérité ( monde des Idées). C'est pourquoi : "philosopher c'est apprendre à mourir". Nous laisse-t-on le temps de nous connaître nous-mêmes dans notre société où il faut toujours être occupé, efficace, performant, rentable? En a-t-on surtout le désir? Il est possible de s'arrêter une journée pour s'interroger, méditer sur ce que nous sommes, ce que nous voulons, être contemplatif. L'entourage sera surpris et se demandera si nous allons bien, nous trouvera peut-être lunaire, fainéant...Le bénéfice tiré de la contemplation permet de passer outre ces jugements.
Mais la pensée, le questionnement, la remise en question, nous inquiétent car ils nous sortent de nos habitudes, de nos idées toute faites, de notre confort. Il est plus simple de s'occuper l'esprit à autre chose pour, justement, ne pas penser. C'est ce que Pascal appelle le "divertissement", qui consiste à se détourner de la pensée en organisant des fêtes par ex. , des chasses à courre ( cour  de Louis XIV), des distractions, en étant pressé, débordé etc. dans notre société, sans prendre le temps de nous demander pourquoi nous faisons les choses, de nous "retourner" vers notre intériorité. La société de consommation projette de plus en plus l'homme vers l'extériorité, le soumettant aux choses. Mal supporté, l'ennui est pourtant nécessaire à la création, pour les  enfants par ex.. La prière, moins répandue, est un temps de retour sur soi, en même temps que de méditation, ou de contemplation. Il reste peu de discussions d'ordre spirituel dans l'espace public. Si "se divertir" est se tourner vers l'extérieur, se "convertir" est se tourner vers l'intérieur, trouver la transcendance au fond de soi. Tout travail, toute activité physique ne relèvent pas du divertissement puisqu'ils peuvent au contraire libérer l'esprit, permettre à la pensée de s'approfondir. Exemples de la marche liée à la méditation pour certains philosophes ( Aristote, Nietzsche...), pour les moines (cloîtres), chemin de Saint Jacques de Compostelle, pèlerinages etc. L'homme est un animal naturellement angoissé, conscient de sa finitude, qui met en oeuvre des mécanismes de défense pour lutter contre l'angoisse de la mort. Se connaître soi-même serait naître à soi-même en prenant conscience de cette finitude qu'est notre mort physique, en l'intégrant, l'acceptant. L'introspection permet de se connaître en intégrant le regard des autres, en reprenant leurs paroles, en comprenant comment fonctionne notre pensée pour la libérer. De ce point de vue les neurosciences, les notions de cognitions irrationnelles- issues de nos émotions-et de cognitions rationnelles-raisonnables, objectives-, contribuent à approfondir la connaissance de soi. Exemple: "je suis nul" relève de l'irrationnel et il faut remettre de l'objectivité pour développer de nouvelles connexions cérébrales, sorte d'apprentissage pour "aller mieux".
Mais sommes-nous vraiment un "objet" de connaissance? Nous créons notre vie au fur et à mesure de nos apprentissages, de nos expériences, de l'acquisition de nos connaissances ou de nos prises de conscience. Nous ne pouvons pas être un "objet" défini, achevé, connu, car notre complexité est irréductible, et nous restons une conscience libre. Les modes de pensées  varient d'une personne à l'autre (les personnes très intelligentes penseraient en réseaux, alors que les autres penseraient de manière séquentielle), une même personne peut modifier sa façon de penser (résultat par exemple d'une psychothérapie). Nous pouvons nous étudier nous-mêmes, mais cette connaissance modifie ce qu'elle étudie  (comme une cellule observée dans un microscope en est modifiée). Notre approche cognitive varie en fonction de ce que nous sommes et de ce que nous devenons. La connaissance de soi suppose et entraîne une interaction avec les autres, avec la nature, et avec soi-même puisse que cette connaissance nous modifie et modifie notre façon de voir les choses. Nous nous connaissons comme libre acteur de notre vie.

Café philo du 3 avril : le progrès laisse-t-il une place au travail manuel ?

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Il s'agit d'abord du progrès technique, devenu l'application des progrès de la connaissance scientifique. Les machines, les robots, libèrent les humains de tâches pénibles, épuisantes, fastidieuses ou répétitives. Les robots par ex. effectuent au moins partiellement le travail à la chaîne. Le travail manuel pourrait-il disparaître ? Serait-ce un progrès pour l'humanité, pour l'épanouissement de la vie humaine? Le travail manuel est aussi, et surtout, le travail de l'artisan, du menuisier par ex. caractérisé par son implication au travail; le progrès technique peut lui apporter un confort, éviter les tâches répétitives, épargner la force physique, apporter plus de précision... Exemples aussi du désherbage mécanique qui évite de se pencher; équipées de matériel informatique, les machines ( tracteurs) arrachent les légumes, guidées par des yeux électroniques, même si le conducteur fait une erreur. Le progrès technique permet de mettre davantage en valeur le travail manuel, d'améliorer son savoir faire, de  gagner du temps. Le menuiser utilise les machines à découper, à scier, qui facilitent le travail sans nuire à la création.

Que valorise toutefois la société? Le salaire horaire par ex. d'un maraîcher travaillant à la main reste très faible. Dans une entreprise, une usine, rien n'est fait par une seule personne; chacun fait un bout du travail, très cloisonné. Le travail artisanal, individuel, demande plus de temps, est multisensoriel, expose à une proximité avec la nature ( le temps, la température, le vent), avec la matière, le matériau, et par là implique toute la personne, comporte une dimension de créativité qui le rend plus épanouissant, plus gratifiant; le jardinage, la couture etc. sont alors source de plaisir, considérés comme des loisirs lorsqu'ils ne dépendent que de la liberté et de la volonté de la personne, en dehors même de la nécessité de produire. Le lavage du linge à la main (lavoir) que la machine peut faire à notre place, reste pour certaines femmes (rares) une source de satisfaction, de plaisir, par les différentes sensations qu'il implique. Un travail manuel partagé est aussi source de convivialité, de discussion, à moins qu'il ne soit trop dur et contraignant, source de conflits ( ex. la Cancalaise).
Quel idéal porte-t-on quand on fait un travail manuel ? Le maître assume l'accomplissement de son ouvrage sans cloisonnement des savoirs, même s'il dirige un apprenti, et remet l 'humain au centre de son travail. L'ouvrier ne peut avoir l' idéal de devenir maître dans son travail puisqu'il n'en a pas l'entière responsabilité.
Le progrès technique n'est pas à opposer à la qualité du travail manuel car il peut la renforcer. Mais la qualité peut être dissociée de la quantité, associée à la production de masse, elle-même conditionnée par les progrès techniques, industrialisation, mécanisation... et à l'utilisation de produits toxiques. Il fallait, après la guerre, que le pays soit autosuffisant pour se nourrir. La culture "bio" ou le travail artisanal pourrait-il nourrir 65 millions d'habitants? Exemples du pain pétri à la main, ou industriel, du choix des farines...et de la culture des tomates produites sous serre mais n'ayant plus de goût, modifiées ensuite génétiquement pour leur redonner ce goût. Il y a une manipulation des consommateurs face à la production industrielle, de moindre qualité mais moins onéreuse, alors même que la production est devenue autosuffisante depuis longtemps. Exemple du gaspillage des fruits ou légumes non calibrés: le calibrage est devenu une exigence de la production, alors que les fruits et légumes non calibrés pourraient être consommés; le calibrage est l'affaire des machines. Il relève aussi pourtant d'un savoir-faire: soupeser, observer la texture...
L'idéal serait-il de revenir au travail manuel pour assurer la meilleure qualité des produits, la production étant assurée par un plus grand nombre de personnes dans la société? Comparaison faite entre les meubles industriels, financièrement plus accessibles, et les meubles faits par les menuisiers, très coûteux, pièces uniques, d'une grande qualité mais inaccessibles à certaines classes sociales, comme l'est souvent aussi une alimentation d'une plus grande qualité. La part manuelle du travail est considérée comme un luxe, donc réservée aux riches. Mais le travail artisanal lui-même est soumis au goût des consommateurs auxquels il doit pouvoir se soumettre, s'ajuster.
Faut-il reconstruire totalement nos modèles de production, cesser l'industrialisation de masse, revenir davantage au travail manuel pour retrouver la qualité des produits et en même temps faire cesser la pollution, la destruction de la nature?
Il a été reproché aux agriculteurs de devenir des "conducteurs de machines", au détriment de l'observation, du respect peut-être de la nature, tandis qu'il est reproché à d'autres méthodes de culture de "ne pas faire assez tourner le système". Les machines peuvent faire un bon travail sur le sol mais que ressent alors l'être humain? On parle maintenant d' "exploitants" agricoles, et d' "exploitations" alors qu'il était question à une époque précédente de "faire valoir" une terre. Le niveau technique d'une grande ferme, par exemple,  permet une très bonne surveillance sanitaire des vaches, une hygiène parfaite... Mais qu'en est-il du rapport de l'homme à l'animal, à la nature, de l'observation des animaux? La peur existe qu'on perde le "savoir-faire"( et nos parents critiquaient déjà ce qui arrivait; question de génération: chaque nouvelle invention technique- les rails par ex., le stylo bic- a interrogé et inquiété les gens; le pilotage des avions et la maîtrise -ou non- de l'informatique a posé question face aux accidents récents). L'utilisation même des objets techniques, pourtant, exige ce "savoir-faire". Exemples: un charcutier doit savoir programmer son four en fonction des modalités de cuisson, donc doit savoir cuisiner; un menuisier utilise ses machines en fonction de sa connaissance du bois... Travail manuel et technicité se complètent alors ( l'investissement de la machine restant difficile à rentabiliser toutefois).
Le progrès technologique n'est-il qu'un complément au travail manuel ? N 'engendre-t-il pas de changements plus profonds? La calligraphie par ex. est un geste important exigeant beaucoup de temps et lié à certaines connexions cérébrales. Certains pays ont décidé de supprimer l'écriture manuelle. La question est posée notamment au Canada. Mais la tension sur un clavier ou un écran modifie le fonctionnement du cerveau et les connexions jusque là utilisées; l'utilisation de nos cinq sens en est également modifiée ( apparition plus fréquente de la myopie...). Cette fixation sur l'écran rétrécit-elle le monde ou au contraire l'élargit-elle jusqu' aux pays lointains grâce aux possibilités de communication?

Certains travaux manuels étaient éprouvants ( ex. la mine) mais gardaient un sens, impliquaient une solidarité, une communauté des travailleurs. Utilisant les nouvelles technologies, beaucoup ne savent plus exactement ce qu'ils ont fait à la fin de leur journée de travail, en dehors d'avoir gagné leur vie. Leur travail pour eux n'a plus de sens malgré leur emploi du temps chargé voire surchargé. Des études sociologiques l'ont constaté: un grand nombre d'employés, de cadres d'entreprises notamment, quittent leur travail au profit d'un travail manuel, plus valorisant et impliquant une autre relation avec les autres, une plus grande solidarité lorsqu'on travaille ensemble, et une plus grande solidarité avec le matériau utilisé,  avec la nature. Voir le documentaire "Jeune bergère".
Référence au livre d'Arthur Lochman: " La vie solide. La charpente comme éthique du faire" ( Payot,
Janvier 2019), en réaction à la "société liquide" analysée par Zygmunt Bauman, où rien ne peut plus être enraciné, emporté par le flot du changement et de la vitesse. La liquéfaction entraîne l'absence de forme stable dans la vie active et affective des individus, et dans la société. Au contraire, fabriquer une charpente par ex. a un sens (abriter les humains...), donne une finalité claire au travail, engage non pas seulement la main mais tout le corps, s'inscrit dans la réalité, l' efficacité, tout en mobilisant les cinq sens: "sentir" la matière, le bois... Apparaît en même temps une dévalorisation dans le monde du travail des "bac plus cinq", nombreux, victimes de formations trop abstraites.
Plus qu'en Allemagne par ex. la formation scolaire et universitaire en France considère le travail manuel comme subalterne. Un élève n'ira souvent en apprentissage que s'il est jugé incapable de suivre des études jusqu'au bac et au delà. Un ingénieur allemand considère couramment qu'il se valorise en allant en apprentissage, connaissant alors le métier de base, ce qui lui permet de pratiquer son travail d'ingénieur. Il ne s'agit pas de supprimer bien sûr la culture générale, mais de valoriser aussi le travail manuel, l'artisanat, l'apprentissage. La question du salaire n'est pas en cause -un boucher par ex. peut avoir un revenu bien supérieur à un bac +7 ( enseignant...). Ce n'est pas la rémunération mais le prestige social qui remet en question la valeur de l'entrée en apprentissage, mal ressentie en général par les parents des enfants scolarisés. Le compagnonage
parfois valorisé ( transmission de la tradition. ..), est pourtant soumis aussi à une hiérarchie des valeurs et n'assure pas une bonne reconnaissance dans la société. Certes, le souhait des parents est que les enfants s'épanouissent et pratiquent le métier où ils souhaitent s'engager. Mais l'organisation sociale française ne laisse pas assez de passerelles entre les différentes formations et l'information reste insuffisante sur l'ensemble du système scolaire.

Une société idéale serait peut-être celle qui ne valoriserait ni le travail manuel, ni le travail intellectuel, ne fixant aucune idée préconçue du progrès, au sens de l'épanouissement humain. Il est impossible de comparer le travail fait à la main et le travail des machines (ex. d'un maraîcher). Pratiquer un travail est aussi important que de l'intellectualiser. Des industriels reviennent à l'enseignement, tandis que des enseignants font des stages en entreprise (ce que certains appellent le retour à la "vraie vie").
L'école élémentaire française est devenue très intellectualisée. Selon le mathématicien Cédric Villanie, l'apprentissage des mathématiques devrait commencer par la manipulation (en maternelle), suivie du stade de l'image, et ensuite seulement de l'abstraction. Un enfant "nul en dessin" à l'école souvent ne s'améliore pas et n'acquiert pas non plus une culture en arts
plastiques bien qu'il soit possible de faire beaucoup de choses avec des enfants dans ce domaine ( on peut apprendre à aimer Vasarely par ex. mais par la suite).

"Artisan" et "artiste" ont la même racine et renvoient à la dimension créatrice du travail humain, le travail manuel étant la réalisation dans la matière d'un projet, d'une idée. Il a une dimension spirituelle et peut même devenir sacré (ex. de la fabrication des sabres japonais). Le travail poursuit l'oeuvre de création et participe à la construction de l'humanité, toujours en train de se faire ( voir Teilhard de Chardin). Il donne donc un sens à la vie. Contrairement à la machine, l'humain n'est pas programmé et peut ajuster son ouvrage à une exigence particulière ( ex. un menuisier artisan ajuste une fenêtre à une maison et ne se contente pas de la poser). Doit-il se plier aux exigences de la société de masse? Son but n'est pas de "plaire à la société" qui peut lui reprocher de ne pas être assez productif, de ne pas gagner assez d'argent, et peut même finalement l'ignorer.
Mais faire les choses sur mesure existe aussi dans le domaine industriel; l'artisan doit reconfigurer sa machine. Le législateur devrait permettre la cohabitation du travail manuel artisanal et du travail industriel, garantir même leur coexistence. Les voitures bien sûr ne peuvent être fabriquées à la lime à métaux. Exemple de Ford qui toutefois, pour la bonne marche de l'entreprise, limitait les différences entre les plus bas et les plus hauts salaires.

Augmenter toujours la production, ou aller vers la décroissance ? Le progrès technologique est bénéfique, mais non pas au détriment de l'humain, que le travail manuel remet toujours au coeur de la production, et qui est aussi nécessaire au progrès de l'humanité dans sa recherche de la plus grande qualité: qualité de ce qu'il réalise, capable de donner un sens à son travail et aussi, au moins pour une part, à sa vie. Car l'artisanat permet qu'on se réalise soi-même en même temps qu'on crée son ouvrage, dans une perpétuelle évolution faite de découvertes et d'apprentissages incessants, passant par les mains, la matière, la pensée. ( voir le rôle du bricolage déjà dans la créativité).
A l'origine issue d'un travail artisanal multiple, la production industrielle s'en est détournée à des fins financières. A la source, une idée et une multitude de petites conceptions, ajustées à une multitude d'exigences, qui se perdent dans la production de masse comme la source puis la rivière se perdent ensuite dans la masse de l'océan (exemple de la production des voitures et de l'informatique embarquée qui gère la vie de ces voitures, laissant la mécanique inaccessible).
Afin qu'il garde un sens humain, il faut que pour chacun son propre travail soit un objet de contemplation ( voir Simone Weil ).

Café philo du 6 mars : la fraternité

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Qu'en est-il de la fraternité, figurant dans notre devise républicaine après la liberté et l'égalité ?
Elle y est introduite depuis 1848, lors d'une émeute parisienne par laquelle furent défendues, au prix du sang, la liberté et l'égalité. Le rouge, couleur du sacrifice et du sang, pourrait signifier l'alliance entre les Lumières et l'Evangile (le sang du Christ), la large fraternité de tous les hommes. Voir Régis Debray: "Le moment fraternité" (Gallimard 2009). Couleur la plus éloignée de la hampe du drapeau français, le rouge vole, libre, aux vents des ouvertures, depuis la Révolution. Le "sang impur" de la Marseillaise n'est-il pas celui du peuple, soit-disant moins pur que celui de l'aristocratie, mais se répandant sous les armes de la lutte pour la liberté et l'égalité?

Tous les hommes sont frères selon les religions judéo-chrétiennes parce qu'ils ont un même Père, un même créateur- Dieu - et en ce sens appartiennent à la même fratrie. Tous ont la même valeur aux yeux de Dieu dont ils sont les enfants, sans distinction de rang social, de race etc. Dans notre République laïque, tous les hommes sont égaux devant la Loi, qui garantit aussi leur liberté. Assure-t-elle la fraternité, ou la sororité (du latin "soror": soeur) ? Le vocabulaire de la famille a été importé dans la politique avec la Mère Patrie ou le Père de la Nation...
Être frère pourtant n'assure pas nécessairement l'égalité entre tous les frères et soeurs. Il a pu exister un droit d'aînesse, la distinction entre une fille et un garçon pour les droits de succession ( familles royales par ex.)... Ces inégalités peuvent être source de rivalités, de jalousies entre les frères. Un exemple est donné dés le livre de la Genèse dans la Bible (Ancien Testament) : Caïn tue son frère Abel; " Qu'as-tu fait de ton frère" lui est-il demandé. Devait-il le préserver, l'aimer ?
Peut-on empêcher la cupidité de certains hommes, nuisible pour d'autres humains ?
L'idée que l'espèce humaine est une et que chacun est un frère pour les autres n'est pas universelle. Elle dépend du positionnement de chacun par rapport à la nature et par rapport à la situation sociale. Tout le monde a-t-il la même valeur aux yeux des autres? Référence à la notion de "barbare", englobant tous ceux qui n'habitent pas là où j'habite. Les tribus, peut-être fraternelles dans les relations entre leurs propres membres, ne le sont pas nécessairement avec les autres tribus. La "fraternité" semble à géométrie variable. Des guyanais par ex. appellent une personne "ma soeur": quel sens prend alors ce mot? Besoin de reconnaître une fraternité dans une société pluri ethnique? Que signifie la fraternité universelle? Il ne s'agit ni d'aimer tout le monde, ni d'être d'accord avec tout le monde. Les fraternités religieuses elles-mêmes ont organisé des croisades par ex. pour s'opposer aux intérêts ou aux ambitions d'autres populations.
Un pays vraiment fraternel aurait-il une  armée? L'armée pourtant défend un pays, les combattants  risquent leur vie pour le protéger. Esprit de service, d'accomplissement du devoir, ou fraternité? Fraternité aussi dans "l'esprit de corps", ou jeu des "marchands de guerre", qui ne sont pas fraternels? Les associations caritatives elles-mêmes (ex " médecins sans frontières"), ne perdent-elles pas leur fraternité  lorsqu'elles deviennent trop administratives, perdant de vue l'humain?
Car il est impossible d'avoir de l'empathie pour tout le monde; il faut un territoire, un rayon d'action. La fraternité met un visage sur les personnes, ce qui la distingue de la solidarité, exercée par les services sociaux. La solidarité est une mise en oeuvre de la fraternité dans un cadre légal: impots, sécurité sociale, aide aux réfugiés... Chaque pays met une limite à cette aide. Exemple du bateau humanitaire Aquarius sauvant des naufragés en méditerranée et n'ayant plus légalement aucun port d'attache, donc ne pouvant plus poursuivre sa mission. La fraternité n'a pas besoin d'un cadre légal. Exemple des sanctions pouvant être données à ceux qui aident illégalement des réfugiés; mais peut-on vraiment sanctionner la fraternité (inscrite dans notre devise)?
Les médecins engagés à soigner les malades et les blessés quelque soit leur pays, leur "camp", leur culture etc. n'agissent-ils pas par fraternité envers tous les hommes? Il s'agit alors d'un effort, d'une volonté, d'un choix éthique, dépassant la peur et l'individualisme. Mais le respect d'un engagement, le serment d' Hippocrate par ex. pour un médecin, ou sauver les gens pour un
pompier etc. relèvent-ils bien de la fraternité? Certes certains médecins peuvent  ne pas être fraternels, tout en aimant leur métier. Un médecin humanitaire, un pompier de Paris, un journaliste sur des lieux de conflits, ont pu faire ce choix professionnel pour la " reconnaissance" ou pour la gloire, et il est difficile d'attacher le mot "fraternité" à une profession, à un dévouement. L'objectivité -en science notamment- masque les individus: un chirurgien va soigner l'organe, la main..., sans forcément voir la personne derrière. Mais le choix d'un métier gomme-t-il l'aspect fraternel? Ne peut-on vouloir l'exercer par fraternité? Sinon, la fraternité relèverait du simple amateurisme. La fraternité passe aussi par un engagement professionnel.
Elle suppose le don, contrairement à la liberté et à l'égalité qui peuvent être seulement reçues, et renvoient à chaque individu, à son autonomie. La fraternité n'existe que si elle est inventée, et n'est pas l'affaire des politiques. S'engager au quotidien pour la fraternité est aussi un sens donné à la vie.
Certains partis politiques utilisent le terme de "camarade" ( étymologiquement : celui qui partage la même chambre). La fraternité exige qu'on ait quelque chose en commun avec l'autre, une similitude, comme les frères et soeurs vivent dans la même famille. Cette relation familiale consiste à recevoir des autres mais aussi à donner, elle est l'affaire de tous (histoire des droits et des devoirs) et le refus du don entraîne la fracture de cette relation. La fraternité s'oppose à l'individualisme et ne se construit qu'en prenant sur soi, en donnant de soi-même dans un souci de l'autre, dans un élan vers l'autre. Il ne suffit pas d'avoir les mêmes codes, les mêmes perceptions. Lawrence d'Arabie explique par ex. comment il a construit la fraternité avec les arabes.
N'y-a-t-il pas pourtant dans la fraternité un aspect instinctif, émotionnel? La fraternité apparaît  lorsque survient un "coup dur", inondations, neige, attentats... Par l'élan de solidarité et de compassion, tous se sentent reliés aux victimes. Ex." je suis Charlie" ; mais cet élan n'est-il pas toutefois canalisé par un meneur? Comparaison avec un troupeau?
Faut-il du sang pour que se révèle la fraternité? Il faut surtout être uni par quelque chose de commun. Référence à la Coupe du monde de 98 où tout le monde était black-blanc-beur-dans une nation fraternelle. Pourquoi cet élan ne s'est-il pas maintenu? La fraternité est aussi un état d'esprit, l'intermédiaire entre l'amitié, relation privilégiée à l'autre, et le rapport anonyme, le collectif;  le dépassement de l'individualisme consumériste vers le don fraternel, la coopération sociale.
Mais comment se reconnaître des points communs en temps ordinaire? Nous sommes tous des humains et avons tous à reconnaître nos différences pour construire nos sociétés à partir de ces différences. "La fraternité a pour résultat de diminuer les inégalités tout en préservant ce qui est précieux dans la différence." Certains groupes communautaires ont les mêmes codes vestimentaires, les mêmes façons d'agir... En Afrique les Peuls constituent une ethnie où la fraternité est forte et où règne une forte solidarité; mais ils sont mal vus. Il s'agit d'une fraternité qui enferme, qui coupe des autres, qui les exclue. Notre fraternité ouvre-t-elle ou enferme-t-elle?

La recherche du bien commun assure-t-elle la fraternité? Le respect des lois morales ( les dix commandements): ne pas tuer, ne pas convoiter la femme, le mari des autres, ni leurs biens matériels...constituent la base de la vie en société, comme le respect de l'identité de chacun.
La fraternité consisterait à donner sans avoir rien à gagner. L'empire romain était fondé sur l'esclavage. Quelques uns ont proclamé qu'on était tous égaux et ont été tués (les martyrs chrétiens). Puis la fraternité a renversé l'empire romain en supprimant l'esclavage. Ne peut-on devenir frères aussi en dialoguant? Ce qui suppose de dépasser la peur de l'autre, au profit de la confiance. Car la fraternité ne s'arrête-t-elle pas quand quelqu'un cherche à s'imposer? Exclut-elle donc la hiérarchie?
Tu es fraternel quand tu n'es pas paternel, quand tu laisses l'autre s'exprimer librement. Il ne faut être ni le père ni l'enfant, pour être le frère. Ce qui suppose une dose de maturité, l'accès au stade adulte.
Au delà des différences culturelles, la fraternité va aussi au-delà des règles. L'ordre pourtant, n'est-il pas nécessaire à la base d'une société? Référence à un livre de Philippe Pelletier: "l'anarchisme" (2010). L'anarchie incite chacun à la responsabilité de ses actes, sans attendre qu'on lui indique
ce qu'il doit faire (ex. se soigner si possible soi-même avant d'aller systématiquement chez le médecin, remboursé par la sécurité sociale...). Mais aimer son confort et agir comme un anarchiste: n'est-ce pas plutôt être libertaire? Une société anarchiste est-elle plus fraternelle? Peut-être puisque chacun se sent plus responsable de ses actes. " L'anarchie n'est pas le désordre mais l'ordre naturel des choses ", c'est-à-dire fondé sur la raison, chacun étant capable de réfléchir et d'agir selon le bien. Cet ordre naturel car chacun est naturellement doué de raison, serait préférable à l'ordre étatique, hiérarchique. Mais il reste une utopie car il faudrait un monde entièrement constitué de petites sociétés anarchistes. Et cela ne sélectionnerait-il pas les plus forts, les plus intelligents?
Expérience d'une conduite anarchique en Inde, à Delhi, ressentie très différemment selon les personnes: énorme source d'accidents, ou grande liberté de circulation...?
La fraternité peut inclure le respect de l'humain- nous faisons partie des 7 milliards d'habitants de la planète- et le respect de la nature ( planète, animaux, végétaux, écosystèmesmes...), le respect de l'humain et celui de la nature allant de pair. Référence à saint François d'Assise chantant notre frère soleil, et notre soeur l'eau... Pollution, manque de fraternité, inégalités et injustices sont reliés.

A la base d'une société, l'ordre n'est pas suffisant car seule la fraternité permet de lutter pour la liberté et l'égalité; la fraternité assure la réelle cohésion de la société. Certes, la fraternité universelle est-elle une utopie, mais seule l'utopie permet d'avancer.
L'hymne européen, l'Ode à la joie de Schiller, chanté dans la 9 ième symphonie de Beethoven, est aussi un hymne à la fraternité. Tous les hommes deviennent frères sous la même voute céleste... Que signifie cette fraternité européenne? Joie de vivre en paix, en harmonie avec la nature, sans destruction ni pollution. Les États tentent de s'harmoniser, de créer un espace commun. Depuis plusieurs siècles des "projets de paix perpétuelle" ont été pensés par des philosophes (Abbé de Saint-Pierre, Kant), mis en oeuvre par des institutions telles que l'ONU...allant dans le sens de la fraternité. Les intérêts économiques contraires finissent-ils par tout compromettre?
Usage des armes pour les défendre ou installation dans certains pays à l'aide d'objets précieux, comme l'ont fait les chinois par exemple au Moyen Âge, pour conquérir des territoires...

Le progrès technique va-t-il dans le sens de la fraternité ou la détruit-il ? Référence au livre de Benoît Sorel sur Saint-Lô en 2050: faudra-t-il conserver notre humanité malgré le développement de l'intelligence artificielle et les dégâts climatiques?
L'intelligence artificielle ne peut-elle pas agir aussi en faveur du bien commun: détection, traitements des maladies plus performants...? Mais avec quels enjeux économiques?
Où se situent le progrès et la fraternité? Il appartient à la fraternité de lutter contre les excès ou les mauvais usages de la technique ( ex. déshumanisation des services, voitures autonomes, pollution, inégalités...) mais il reste peu probable que quelqu'un soit élu sur un programme visant à sauver la planète et l'humanité, bien que l'écologie participe du bien commun. La fraternité n'est pas une donnée mais reste une exigence même si les sociétés ne sont pas aussi fraternelles que nous le souhaiterions;  elle semble une tâche à accomplir: les différences ne sont pas incompatibles avec la similitude de tous les êtres humains. En ce sens notre devise républicaine ne dit sans doute pas ce que nous sommes, mais ce que nous cherchons à être, ce que nous voulons construire.

Café philo du 6 février 2019 : La morale implique-t-elle l'intolérance ?

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Suivre une morale consiste à se donner des règles de conduite selon ce qui est considéré comme le bien (  bonheur, plaisir, intérêt...), ou à agir selon le devoir moral, dicté par la raison, ou issu de la religion, de la société ex. la morale républicaine. La morale est donc normative. Conduit-elle à être intolérant si d'autres ne suivent pas les mêmes règles? Une morale pose des limites, s'interdit certaines choses; suivre ces règles n'impose pas de les imposer aux autres, d'être intolérant envers d'autres lignes de conduite.
Mais chacun a-t-il sa propre morale? Toutes les idées se valent-elles, c'est à dire aucune "valeur" ne vaut-elle plus qu'une autre? Puisque personne ne détient la vérité, toute conduite pourrait être tolérée. Qu'en est-il alors du bien commun?
Sur un grand panneau de 2 mètres de hauteur, dans un pays musulman, aux Emirats arabes, est écrit le mot "tolérance" tandis que se côtoient femmes voilées et femmes en short... La tolérance règne pour qui suit le règlement ( ce qui est très différent en Arabie Saoudite par ex.). Un État peut être tolérant; qu'en est-il de la tolérance de chacun ? Car il n'y a tolérance que s'il y a aussi intolérance: je ne peux tolérer par ex. un comportement qui me gêne, quelqu'un qui me menace... Est-ce être intolérant que de le dire? Tolérance et morale ne sont pas du même ordre: si notre morale est bousculée, en réalité, c'est notre émotionnel qui réagit. Une étrangère, au Maroc par exemple, peut faire ce qu'elle veut et théoriquement une marocaine aussi, mais en réalité la conduite subit le poids de la culture du pays.
Est-il intolérant de ne pas respecter la loi ? N'est-on pas en droit d'être intolérant lorsque la morale est dépassée (ex. une agression, un crime)? C'est aussi un devoir de ne pas tout tolérer; question en même temps de survie. Peut être la tolérance est-elle facilitée lorsqu'on est bien protégé. Une femme très tolérante ne tolérera pourtant pas qu'on nuise à ses enfants.

Distinction entre la tolérance et le pardon. Il est possible de pardonner sans tolérer l'acte qu'on a subi, car c'est la personne qui est pardonnée (exemple d'une pianiste à qui pendant la guerre un allemand a écrasé les doigts volontairement sous l'abattant du piano, et à qui elle est revenu pardonner plus tard). Démarche qui surmonte le mal, ou possibilité d'être plus serein, de continuer à vivre et à se reconstruire, donc forme d'égoïsme ou du moins de dépassement de sa propre souffrance?

Au nom de la tolérance, toutes les idées peuvent-elles être dites? Oui dans un lieu privé mais non pas dans un lieu public; propos racistes, incitation à la haine, à la violence, sont interdits en vertu de la morale républicaine. Discussion sur la liberté des humoristes de faire des blagues racistes, antisémites...ou de ridiculiser des intellectuels (Laurent Gerra). Exemple des caricatures de Mahomet, respect de la morale républicaine, du Coran...? Là encore, n'est-ce pas l'émotionnel qui réagit? (Ex. de l'humoriste Dieudonné). Nous ne supportons pas d'être dérangé, de nous sentir remis en cause. Ne faudrait-il pas accepter davantage la dérision? Doit-on tolérer les critiques du peuple de la part des hommes politiques, voire du Président?
Mais qu'est-ce que suivre une morale? Tout le monde ne suit-il pas sa morale, même les djihadistes? Peut-on se vouloir immoral, ou amoral? N'y a-il pas une morale universelle? Le respect de l'autre, de la liberté et de l'intégrité des personnes semble le socle commun de toute moralité, opposée à l'immoralité. "Tu ne tueras pas" est un commandement à la fois moral, religieux, républicain. Le mensonge, compromettant la confiance envers l'autre, n'est pas moralement admis ( même s'il y a des accomodements possibles). L'esclavage est prohibé; toutefois on achète des vêtements faits par des esclaves; de nouveaux domestiques réapparaissent bien que le code du travail ne reconnaisse pas ce statut. Une personne humaine n'est ni un objet ni un animal qui puisse être acheté ou utilisé comme un simple moyen ( un cheval peut être acheté non un humain).
Il n'y a plus beaucoup de penseurs moralistes, mais la réflexion éthique se poursuit sur ce qui doit être considéré comme bien ou mal, notamment en ce qui concerne les nouvelles technologies. Tout progrès technique a été considéré pendant un temps comme nécessairement bon; ce n'est plus le cas (pollution, destruction...). Un "comité d'éthique" se prononce dans le domaine biologique en particulier, sur cette question: tout ce qui est techniquement  réalisable est-il bon pour l'humanité? Sinon, la loi doit à ce titre interdire de mettre en oeuvre certaines techniques concernant la vie humaine voire la vie animale.

Dans sa "Lettre aux instituteurs" (1883), Jules Ferry présente une morale républicaine très proche de la morale judéo-chrétienne, et de la morale de Kant, fondée sur la raison. La morale de notre société a évolué;
l'usage et l'exercice de la raison permettent de maîtriser ses émotions et son comportement, même si "le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas". Toute décision, tout choix, demandent réflexion et cette réflexion peut conduire à changer d'avis; il en est de même pour la tolérance et la non tolérance. En ce sens, la morale ne peut pas définitivement "s'installer".
Référence au film "Le secret", d'après Philippe Grimber, psychanalyse: un homme se marie et tombe amoureux d'une autre femme le jour de son mariage; on se situe là entre la morale et la tolérance. La fidélité est une valeur morale chrétienne et républicaine, un devoir. Doit-on s'y soumettre? Pourquoi le mariage a-t-il été instauré? Les femmes ne travaillaient pas au sens contemporain du terme, et cette institution sociale instaurait un cadre pour la protection et l'éducation des enfants.
Tolérée dans certains pays (ex. le Burkina Faso), la polygamie ne l'est pas en France. Est-elle bien tolérée par celles qui doivent la vivre ( rivalité, jalousie...)? Elle vaut de plus pour les hommes -riches- et non pour les femmes  (polyandrie). Dans les faits certains hommes n'ont-ils pas plusieurs femmes, et certaines femmes plusieurs partenaires ( parfois successivement)?
Ne faut-il pas relativiser la valeur de notre morale occidentale, comme peut amener à le faire une meilleure compréhension des autres cultures ( voyages, séjours prolongés dans certains pays, en Iran par ex.). On juge ces cultures avec notre propre morale (port du voile, surveillance par des policiers: police des moeurs) mais on peut aussi rester neutre par rapport à ce qui est accepté dans ces pays par les femmes et les hommes concernés. Leur société évolue, de même que la nôtre a évolué (port du chapeau pour les femmes, droit de vote, compte en banque...). Un complexe de supériorité nous pousse à penser que notre morale est la meilleure, mais la morale, c'est aussi que chacun puisse avoir le choix, la liberté de vivre ce qu'il veut vraiment. Plusieurs morales sont possibles dans des optiques différentes, militaire, économique, mais ne s'agit-il pas là plutôt du droit du plus fort?
Notre morale s'appuie sur les "droits de l'homme" devenus les "droits humains"; c'est une déclaration, neutre au départ, perfectible, qui donne un cadre plus juste, plus égalitaire, très large. La "déclaration universelle des droits de l'homme" de 1948 garde-t-elle aujourd'hui le même impact (les anniversaires de cette déclaration sont moins marqués)? Elle est remise en question par des peuples, par ex. musulmans, qui contestent le positivisme occidental et certains des droits qu'il implique, positivisme remis également en cause dans notre société. Le transhumanisme, fondé sur un modèle mécaniste de l'homme "augmenté" grâce aux nouvelles technologies, est-il moral ? Sommes-nous prêts à admettre cet idéal de l'homme-machine, la discrimination peut-être entre les "augmentés" et les autres (les rétrécis), les batailles à ce sujet ( entre américains et chinois...)?
Certaines valeurs admises dans notre société peuvent être remises en cause ou au moins discutées: avortement banalisé (du moins dans l'offre proposée), devenu moyen de contraception, opposition créationisme-darwinisme ( voir par exemple la solidarité entre les plantes, opposée à la lutte pour la vie...), "mariage pour tous": quel sens alors au mot "mariage"...; des explications d'ordre différent, littéraire, religieux, scientifique, peuvent coexister.
Du moins doit-on respecter la liberté de conscience de chacun et dans certains cas la "clause de conscience" (des médecins par exemple).
Une censure douce existe, une forme de pensée unique tend à s'imposer, contre lesquelles il faut lutter. Car notre société est dominée non par des idées réfléchies mais par des opinions, reprises, réinterprétées au service des différentes formes de pouvoir (politique, financier...). Ce qui est moralement mauvais peut être toléré ( ex. persistance de l'utilisation de produits chimiques qui tuent...). Le comité d'éthique lui-même est suspecté d'être contourné, voire manipulé (lobbies). L'exemple est pris de l'utilisation ou non par les policiers du LBD (flash ball). De quel côté est la morale? Peut-être la police devrait-elle fonctionner autrement?
Comment faire pour ne plus tolérer les injustices (immorales) sociales ou fiscales (tva...), en l'absence parfois d'arguments pour justifier les lois? Force est de tolérer, de subir, ce qu'on refuse pourtant d'admettre ("le pot de terre contre le pot de fer"). La tolérance est alors passive. On peut tolérer que quelqu'un ne fonctionne pas comme nous, ne pense pas comme nous, lorsqu'il n'y a pas de rapport de hiérarchie mais une certaine équivalence, et en l'absence de nuisance. N'est-ce pas la moindre des choses? Pourrait-on ne pas le tolérer sans être tyrannique? Ne s'agit-il pas plutôt du respect de l'autre, quand bien même on n'approuve pas ses actes et ses idées? "Dans le pire des criminels, il y a quelque chose de bon".
Tolérer ce qu'on n'accepte pas moralement peut aussi être une façon de se débarrasser du problème, de devenir indifférent, voire condescendant, à l'égard par ex. d'autres religions ou cultures, à l'égard des marginaux, des réfugiés...
Le respect de la diversité des cultures, de la différence, fait partie du devoir moral, même si d'autre part tout n'est pas tolérable. La tolérance apparaît comme un cadre à respecter, où chacun doit se situer pour assurer la liberté de chacun. Ce n'est pas un idéal tel que peut en prôner la morale.
Quelle morale suit-on? Celle peut-être qui a été inculquée par notre éducation, et qui est ancrée en nous comme les valeurs que nous défendons; nous savons ce qui est bien ou mal. Ces valeurs toutefois peuvent changer, nous pouvons évoluer au cours de notre vie. Véritable changement? La trame de notre vie ne reste-t-elle pas la même et n'évolue-t-on pas en fait  dans un cadre sans vraiment changer?
Suit-on une morale ou respectons-nous des valeurs sans vouloir être enfermés ni même guidés par une morale? Être moral peut apparaître suspect voire repoussant. Suivre une morale devient péjoratif lorsqu'il s'agit de moralisme, fermé et rigide. Cela consiste alors à suivre des préjugés, des principes non questionnés, et devient une sorte de carcan de pensée, conduisant à l'intolérance.
La tolérance est le minimum exigé dans une société pour que chacun puisse conduire son existence selon les valeurs qu'il choisit, en fonction de sa propre réflexion, de son éducation, de ses conditions de vie... En ce sens, valeur morale et tolérance ne sont pas opposables.

Café philo du 16 janvier : le populisme

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Il a existé un courant populiste en littérature, axé davantage sur les gens du peuple, mais la première utilisation politique du terme se situe en Russie au 19ième siècle lors de la lutte contre le tsarisme, lutte appuyée sur le peuple et sa volonté de transformer les communautés agraires. Le mot "populisme " vient bien sûr du latin " populus" : le peuple; pourquoi ce terme a-t-il pris récemment un sens péjoratif ? Qu'est "le peuple"? Qu'est-ce qu'un mouvement populiste ?
Les mouvements populistes s'opposent aux "élites" politiques considérées comme coupées de la réalité quotidienne des gens, enfermées dans une idéologie commune artificielle, fondées sur des idées progressistes, tournées vers les pouvoirs financiers. Ces progressistes, technocratiques, se sont alliés (référence à l'analyse de Michel Onfray); les entreprises promettaient monts et merveilles auxquels ils ont cru, alors que le nucléaire, par exemple, suscite de la méfiance depuis plus de 40 ans. Allusion au livre de Joël de Rosnay "2020: les scénarios du futur. Comprendre le monde qui vient ", prédisant le mariage de diverses technologies biologiques, informatiques nano et écotechnologiques dans le domaine de l'infiniment petit, pour ouvrir de nouveaux horizons. Mais vers quel progrès veut-on nous faire tendre? Référence à l'univers de science-fiction Star Trek décrivant un futur progressiste qui ne connaît plus de maladie ni de guerre, où les gens s'épanouissent et aiment leur métier. Peut être faut-il toutefois préserver aussi certains modèles actuels?
Qu'est-il advenu de l'autorégulation du marché et de la théorie du "ruissellement" qui aideraient les plus pauvres? Question de la mauvaise répartition des richesses dans cette société où l'argent est au pouvoir. Voir le livre de Julia Cagé: "Le prix de la démocratie" Fayard. Contre ce progressisme technocratique, le populisme raconte une histoire vécue, remplie d'émotions, taxée souvent par les politiciens au pouvoir d'archaïsme et de frein au développement. Mais pourquoi aucune leçon n'a-t-elle été tirée des crises économiques? Référence au mouvement des "économistes atterrés".
Le populisme est accusé de faire plaisir au peuple, d'aller dans le sens du peuple. Mais n'est-ce pas normal en démocratie? Ou bien, faut-t-il se méfier de ceux qui caressent le peuple "dans le sens du poil", excitant les "bas instincts" comme le racisme, la xénophobie...? Hitler n'arrive-t-il pas au pouvoir en incitant à la haine et au racisme? Est-ce là une image satisfaisante du peuple ? Certes, l'éducation est-elle nécessaire; mais l'Allemagne et les nazis étaient éduqués et très cultivés. Il faut distinguer toutefois l'éducation démocratique, qui laisse la possibilité de réfléchir et d'être libre, de l'endoctrinement fondé sur la propagande et la manipulation. Le peuple serait-il incapable de rechercher le bien commun et d'accepter peut être les choses désagréables qu'implique sa mise en oeuvre? Où est sa responsabilité, la responsabilité de chaque citoyen ? Doit-il se sentir responsable de l'action de "ces politiques qui ne nous représentent pas"? Leur a-t-on laissé trop de marge de manoeuvre face aux excès du capitalisme  (financiarisation)? N'a-t-on pas laissé s'imposer une sorte de pensée unique politiquement correcte, au détriment du pouvoir du peuple dont le sentiment est de s'être " fait avoir", d'être méprisé? Face à ce malaise, certains recherchent des boucs-émissaires, responsables de leur misère.
Les politiques populistes cherchant à plaire au peuple font de la démagogie, s'accaparent ce qu'ils voient du peuple, l'imitent, pour accéder au pouvoir fragilisé par "l'échec des élites", décrédibilisées. Étymologiquement le démagogue, de "demos", le peuple, et "ago", conduire, désigne celui qui éduque, conduit le peuple. La démagogie signifie maintenant la manipulation du peuple par un langage simple, voire simpliste, sortant du domaine rationnel pour répondre aux frustrations, aux craintes du peuple, en promettant de façon mensongère une satisfaction immédiate. Elle peut donc aussi être perçue comme une insulte au peuple, souverain en démocratie.
Qu'est donc ce "peuple" de la démocratie, ce "populus" du populisme? A Rome, le peuple, ensemble des citoyens, se distinguait du Sénat constitué des organes essentiels de l'Etat. Le peuple signifie maintenant l'ensemble du corps politique des citoyens et détient la souveraineté, au-dessus de l'Etat: le peuple n'est pas pour l'Etat, mais l'État est pour le peuple. Un peule peut se constituer en nation, mais de nombreuses nations comportent des peuples différents ex. la Belgique, la Suisse... De "natio","naissance", une nation suppose une union de fait et de volonté, un choix de vivre ensemble, un consensus politique et un gouvernement autonome. Elle implique une organisation étatique ( ensemble des institutions...) mais tout État n'est pas une nation (ex.la monarchie austro-hongroise). La Révolution française identifie la nation au peuple et lui attribue comme telle l'autorité politique: "Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu, ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément". Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 art.3
Le "populisme" ne devrait donc pas être un terme péjoratif, si ce n'est que certains utilisent la révolte du
peuple pour arriver au pouvoir et que les extrêmes se sont emparés de ce terme comme de celui de "nationalisme" voire de "communisme", qui au départ étaient au service de belles idées. Défendue jusqu'aux deux guerres mondiales, la "nation" a ensuite été combattue par l'internationalisme, avant l'arrivée à notre époque d'un nouveau "nationalisme".

Populisme, nationalisme, défense des frontières...sont-ils liés ? Il n'est plus possible depuis quelques années d'opposer "populisme"et "progressisme". Il existe des populismes qui ne se veulent pas conservateurs mais progressistes (référence au mouvement "5 etoiles" en Italie, ou à la "France insoumise"), des populismes qui sont pour ou contre les frontières, nationalistes ou internationalistes  (contrairement à la pensée unique: l'homme sera heureux avec la disparition des frontières; localisation des produits et ouverture des frontières ne sont pas contradictoires). Cette distinction "populisme ", "progressisme" ne semble pas être le fond du problème - voir ce qui se passe hors de France en Allemagne, Italie, Pologne... Le système politique français ( 5 ième République) favorise la personnification  du pouvoir puisqu'on vote aux élections présidentielles pour un nom - d'où l'attente d'un "homme providentiel" - alors que d'autres pays votent pour un parti (démocrate ou républicain par ex. aux États Unis). Un homme seul peut-il prendre les bonnes décisions pour le peuple, fût- il ( plus ou moins largement) élu? Voire, n'y a -t-il pas de bonnes décisions à prendre parfois contre l'avis du peuple? Exemple de Churchill à qui l'Histoire a pu donner raison, au-delà de cette question du populisme. Mais il est impossible de se fonder, en démocratie, sur l'idée que quelqu'un est un visionnaire, même s'il est vrai qu'une personne peut prendre une bonne décision là où une vingtaine de personnes qui discutent n'aboutissent à rien; Lawrence d'Arabie, voulant réunir toutes les tribus arabes, leur propose une utopie (" Les 7 piliers de la sagesse"). Exemple des multiples discussions sur les rythmes de l'enfant (J.Revel) dans les années 80, qui n'ont abouti à rien. Mais n'est-ce pas parce qu'on voulait obéir à d'autres impératifs, sociaux et économiques?

Référence aux études du neveu de Freud, Edward Bernays, qui, prolongeant  les idées de son oncle, montre comment ce qui est irrationnel est actuellement utilisé à des fins politiques et économiques. Le populisme s'exprime bien sûr par les médias et garde le pouvoir par derrière la "partition" jouée par les gens. A moins que nous ne gardions le pouvoir sur notre façon de "consommer"(au sens large) ce qui est à notre disposition en gardant le recul de la réflexion. C'est le rôle de chaque citoyen d'assumer cette responsabilité pour lutter contre certaines injonctions économiques ou idéologiques.
Faut-il une destruction avant une construction, mettre de côté une partie de la population (mal nécessaire), pour qu' advienne le bien (Michel Onfray)? Le populisme devrait rester un humanisme, car la haine ne permet pas d'avancer. Chacun a sa place en démocratie et peut faire partie du mouvement collectif.

Le numérique favorise-t-il ou non le populisme? Des critiques avaient déjà été formulées lors de leur invention à l'égard de l'imprimerie, du "livre de poche"... L'ordinateur n'oblige-t-il pas à être actif et à réfléchir (contrairement à la passivité devant la télé) ? Favorise-t-il ou tue-t-il la démocratie? Énorme source d'informations ou de manipulation, y compris subliminale, de récupération de données..., responsable de l'assujettissement aux portables, de l'éloignement des autres, de la nature ?
Comme tous les changements de notre société, ce qui se passe à travers le numérique est source d'inquiétude, de peur. Le populisme ne joue-t-il pas sur la peur? Peur de cette réalité catastrophique prévue à court terme, ou déjà là : pollution, changement climatique, ou chomage, salaire insuffisant... La peur favorise des comportements irrationnels. La démocratie n'a-t-elle donc pas su apporter les bonnes solutions? A-t-elle été confisquée "en haut" si bien qu'il faudrait se méfier de ce que le pouvoir veut nous imposer?
La peur est mauvaise conseillère; une multitude d'images qui circulent va dans le sens de nos peurs. La prise de parole ne peut-elle y remédier, en dehors de la proposition de solutions simplistes? Populisme et démagogie vont de pair et jouent sur la peur pour accéder au pouvoir ou s'y maintenir. En ce sens le "populisme" a maintenant un sens péjoratif. La critique de la démocratie représentative -crise de la représentativité des "élites" élues, coupées du peuple- conduit à prôner une démocratie plus directe, rendant le pouvoir au peuple. Ce sens du mot "populisme" n'est pas péjoratif, mais peine encore à s'imposer. Un mouvement populiste non démagogique peut-il redonner au peuple sa souveraineté, considérée comme bafouée ?