Voici les compte-rendus de nos réflexions communes. Petit rappel de courtoisie : vous pouvez les utiliser à condition de citer la source, c'est-à-dire : café philosophie à Saint-Lô, cafephilo-saintlo.jimdo.com

Merci !

Café philo du 19 décembre : faire ce qu'on dit, dire ce qu'on fait ?

Télécharger
version à imprimer
Synthèse du CAFÉ PHILO du 19 décembre 20
Document Adobe Acrobat 40.9 KB

Pourquoi ce constat d'un décalage entre les paroles proférées, censées exprimer les pensées, et les actes qui s'ensuivent? Hypocrisie? Mauvaise foi? Ce décalage manifeste un désaccord de soi à soi, pour une personne, et perturbe la relation à l'autre puisqu'il en résultent un manque de confiance, une méfiance voire une défiance et une hostilité.
Il existe des paroles qui sont en elles-mêmes des actes (en dehors de l'acte de parler), analysées par John Austin dans son livre "Quand dire c'est faire". Cette parole performative réalise ce qu'elle annonce. Le modèle parfait en est la parole divine: Dieu dit "Que la lumière soit! " et la lumière fût
(Ancien Testament.  Genèse). Mais cette parole existe aussi dans les sacrements, "je te baptise", ou dans des circonstances particulières: "je te pardonne", "je vous déclare mari et femme", lors d'un mariage. Il en résulte que ces personnes sont baptisées, pardonnées, mariées. La sentence d'un juge rend l'accusé innocent ou coupable. Ces paroles toutefois sont en lien avec un contexte social, hors duquel elles sont inopérantes; elles peuvent dépendre aussi de l'intention, de l'authenticité de ces actes de paroles.

Les pharisiens, fustigés dans les Évangiles, "disent et ne font pas", lient de pesants fardeaux pour les autres et ne les soulèvent pas eux-mêmes. Il ne sert à rien de proférer des paroles si elles ne sont suivies d'actes qui les mettent en oeuvre. L'intérêt de la réflexion et de la parole pour un philosophe réside dans leur mise en pratique pour la conduite de sa propre existence.
La parole, très largement répandue à travers les réseaux sociaux, n'est-elle pas décalée avec la réalité? Bien que pensant "faire les choses" n'est-elle pas finalement dans l'irréel ? Le dialogue, la discussion, fondements de notre démocratie basée sur la liberté d'expression, semblent avoir été privés de toute efficacité du côté du "peuple", tandis que la parole des dirigeants se heurte à un manque de confiance, qualifiée de mensongère, opportuniste, peu cohérente. Des paroles sont exprimées mais ne font pas corps.
Longtemps, les actions étaient menées par les "intellectuels" dont la parole était "engagée", l'acte étant en relation avec cette parole qui engage. Si tel n'était pas le cas, la parole était discréditée, et la personne peut être taxée d'immoralité. La parole doit être sincère, ce qui apparaît difficile dans le domaine politique ( exemples des campagnes électorales, des promesses...).
D'où la crise de la démocratie "représentative" qui semble avoir fait disparaître la recherche du "bien commun", de même que la réelle responsabilité des hommes politiques face à leurs actes. Le parlement parle, mais non pas au nom des gens. La parole des "élites" est dévalorisée, présentée soit comme moralisatrice, soit comme "technique de la pensée", construction abstraite souvent incompréhensible pour les autres. Une analyse infra verbale d'un discours présidentiel a montré la dissonance entre ce discours et l'émotionnel du président apparemment impassible; ses mains posées sans bouger pour ne rien trahir démentaient ses paroles.

Les paroles seules, sans les actes, n'imposent pas le respect. La notion même d'"intellectuel" n'est plus utilisée -et ceux qui peut-être proposent des solutions ne sont pas lus. La parole est facilement "récupérée", les épouvantails de l'extrême droite, du populisme, ou de l'extrême gauche sont utilisés pour faire peur. Mais les injonctions, les normes -au nom du bien-être- du despotisme doux dont parlait Tocqueville apparaissent maintenant contradictoires, changeantes, contraires parfois à l'exigence écologique par exemple. Référence à Pablo Servigne : il faut proposer un nouvel horizon, et ce malgré, voire à cause des catastrophes annoncées, et agir en conséquence.
Notre société, gauloise, favorisait la tradition orale basée sur l'honneur et la parole, tandis que les anglo-saxons se fondaient sur l'écrit et le signé, créant une société de contrat, ne croyant pas à la seule parole. Qu'est-il advenu de l'honneur et de la parole donnée?
Les groupes de parole, qui ne sont plus relayés par des formations politiques ni par des syndicats,
se sont retrouvés sur les réseaux sociaux. Paroles suivies récemment des actes de mobilisation des "Gilets jaunes". Ne paie-t-on pas "20 ans de paroles sans action", de rupture de plus en plus nette entre les "élites" et la réalité de la vie quotidienne ? La symbolique du gilet jaune, utilisé pour se rendre visible sur la route, notamment en cas de détresse ou de danger, s'allie à la symbolique du rond-point, nouveau rempart, où le sens interdit signifie le blocage, à l'image de la parole bloquée;  symbole aussi de l'utilisation aléatoire de l'argent public, mais devenu, par les actions des "Gilets jaunes" un nouveau lieu d'échange, de parole, de lien social voire de convivialité (malgré les débordements et les accidents). Nous assistons à une "libération de la parole", parfois aussi débordante, terme qui avait été utilisé déjà en 1968. Parole "récupérée" par les mouvements d'extrême droite? Ou agitation d'épouvantails pour tenter de la décrédibiliser?

Malgré une profusion de paroles et une grande liberté apparente, il semble finalement difficile de se faire entendre, et de se représenter un futur possible et réalisable. Une forme de censure est constatée ( cas de M. Onfray à Caen par exemple ), et les possibilités de diffusion de propositions concrètes sont assez restreintes pour le plus grand nombre. La discussion sur certains sujets d'ordre moral ou sociétal (avortement, mariage pour tous, laïcité...) ne peut se poursuivre dans notre société en dehors de la pensée admise et ne permet aucune ouverture. Certes Internet a-t-il fait entrer le savoir dans toutes les maisons, mais aussi les algorithmes qui font remonter les informations les plus recherchées. En ce sens Internet apparaît aussi comme véhiculant la loi du plus fort, la loi de l'argent. Comment faire pour ne pas "se laisser avoir" par ce système de communication,  pour agir en sorte que nos pensées guident nos actions et non pas les injonctions du marché par exemple?
L'exemple est pris de la difficulté pour un maraîcher local de vendre ses produits face au grand marché qui vient de Rungis; la loi entrave sa possibilité d'action. Ecrite, éloignée des territoires, la loi peut empêcher les actes - au lieu de simplement les réguler - et dévaloriser la parole (priorité de la consommation locale, dans notre exemple).

Quelles sont les limites de la parole et des actes? Un Président qui twitte s'exprime-t-il, agit-il ? Il s' agit d'une parole officielle puisqu'il donne son nom, s'engage diplomatiquement et se situe peut-être dans le domaine de la négociation. Mais il ne s'agit pas vraiment d'un acte (exemple de D.Trump voulant faire un contrat avec la Chine...). Le twitt vient à soi dans l'immédiateté; il ne se situe pas dans le domaine de la réflexion mais plutôt du calcul voire de la provocation, en tout cas de la communication, au sens souvent péjoratif du terme; pendant ce temps les choses importantes ne sont pas dites ("enfumage").

La parole fait-elle bouger les choses? Ou plutôt les actes violents qui attirent davantage les médias? Les manifestations pacifiques, les discussions sont aussi des façons d'exister, de manifester sa présence, d'aller à la rencontre des autres qui, peut-être, ne seraient jamais venus à la périphérie des villes par exemple. La parole exprime alors une injustice sociale jusque là non dite.
Devrait-on s'habituer à être pauvre ( apprendre à cuisiner par exemple et y consacrer plus de temps, plutôt que de privilégier d'autres activités; question du rapport au temps et au temps "libre" dans notre société )? Y a-t-il un dialogue possible, suivi d'actes, entre les gens mécontents voire malheureux et les politiques au pouvoir? Faut-il un coup de semonce (vote extrême droite) ou l'arrivée d'un pouvoir fort sur le mode bonapartiste: un petit nombre d'exécutants est plus efficace pour mener des actions ( réformes par ex.)? Mais ce petit nombre peut-il penser seul ce qui sera le bien pour tous les autres, malgré eux? Inspiration monarchiste, pouvoir arbitraire? La démocratie ne permet pas que l'action politique soit menée sans l'accord d'une majorité des citoyens concernés.

Café philo du 28 novembre : normalité, fantaisie et folie.

Télécharger
version à imprimer
Synthèse du CAFÉ PHILO du 28 novembre 20
Document Adobe Acrobat 42.9 KB

Café philo du 7 novembre : Y a-t-il une hiérarchie entre les espèces ? Spécisme et anti-spécisme.

Télécharger
version à imprimer
Synthèse du CAFÉ PHILO du 7 novembre 201
Document Adobe Acrobat 34.6 KB

L' appartenance à une espèce animale détermine-t-elle une hiérarchie entre les êtres vivants, les uns ayant plus de droits que les autres selon les espèces? Doué de parole et de raison, l'être humain se situe alors au sommet de la hiérarchie; il dispose, de droit, de la nature et des autres animaux qu'il peut utiliser à son service et auxquels il attribue une valeur variable selon leurs espèces. Les animaux de compagnie, d'élevage, de laboratoires ( expérimentation en vue d'une utilisation pour l'homme de certains produits ou de techniques), les animaux sauvages, nuisibles...n'ont pas les mêmes "droits". Cette supériorité de l'homme est-elle justifiée? C'est ce qu'affirme le "spécisme" - du latin "species": espèce - , notion forgée dans les années 1970 pour dénoncer une idéologie dominante comparable au "racisme" ou au "sexisme" : les différences d'espèce, de race, de sexe détermineraient des droits différents. Le "féminisme" dénonce une société fondée sur le patriarcat, où les droits de la femme sont moindres. L'"antispécisme" actuel remet en question la "supériorité" humaine sur les autres espèces: les philosophies de l'"intérêt" des individus (exemple Bentham, 18ième-19ième siècle), considèrent que la question n'est pas de savoir si l'animal pense ou parle, mais de savoir s'il souffre. De quel droit les humains s'autoriseraient-ils alors à les faire souffrir?
Il y a encore quelques décennies, on considérait que les bébés ne souffraient pas. Il est acquis maintenant qu'ils peuvent souffrir, y compris dans les espèces animales (il est troublant d'entendre un cerf appeler sa mère). L'éthologie a étudié cette souffrance animale ( cf Boris Cyrulnik) qui n'est plus mise en doute. Les animaux souffrent comme les humains. Est-ce si important ? Faut-il prendre en compte cette souffrance pour laquelle nous sommes à égalité avec les animaux? Car s'il y a égalité de l'homme et de l'animal, il n'y a pas de scrupule à le tuer: le plus fort gagne. Seule notre supériorité permet de nous poser la question de l ' épargner ou pas. Les animaux, selon la Bible, n'ont pas d'âme, bien qu'ils soient "animés", l'âme étant entendue comme une instance spirituelle.
L'expérience le montre, un cheval mort dans un pré par exemple, n'attire pas l'attention des autres, qui restent indifférents. L'animal n'a pas conscience de la mort, même si certains comportements instinctifs peuvent le laisser penser : ex. des bonobos recouvrent des singes morts de feuilles; à l'approche des abattoirs les animaux pressentent qu'ils vont mourir (agneaux...). Mais toute "culture" humaine a toujours rendu un "culte" aux morts, se posant la question de ce qui peut subsister de ce corps mort et de ce qui l'a quitté. Toutefois, le fait de sacraliser la mort rend-il les hommes supérieurs aux animaux, alors que la mort fait partie intégrante de la vie?
Les animaux pressentent les catastrophes naturelles et cherchent à les éviter (tandis que les hommes, parfois, se contentent de prendre des photos...). Leur système de sensibilisation à la nature, au monde, est très développé; diverses formes d'intelligence leur appartiennent, ils communiquent entr'eux, sont doués de mémoire, d'affectivité, même s'ils n'ont pas cette pensée qui est le propre de l'homme: si leurs codes sont perturbés, ils n'ont plus de réactions possibles. C'est peut-être une supériorité. L'éducation se fait toute seule chez les animaux, instinctivement. Mais il faut que l'homme renie son animalité pour vivre en société et obéir à la loi, indispensable pour réguler les rapports humains. Il retrouve cette animalité lorsque son instinct devient plus fort ( ex. voler dans une boulangerie s'il a très faim). L'animalité ne serait-elle donc qu'un aspect négatif qu'on tente de réfréner, la sauvagerie? La nature existait avant les hommes. Les a-t-elle sélectionnés pour être plus intelligents ? Alors que les espèces animales n'ont guère changé au cours des siècles et n'ont pas d'Histoire, l'humain a considérablement évolué grâce à l'utilisation des techniques de plus en plus perfectionnées. La station debout lui a permis de prendre les outils dans les mains et de lever les yeux pour observer la nature, le ciel, tout en réajustant sans cesse le déséquilibre causé par cette posture. L'humain est le seul à utiliser le feu pour cuire ses aliments, ce qui a permis l'évolution de ses structures neuronales et le développement de sa pensée. Depuis la préhistoire, l'homme a vécu grâce à ses inventions techniques ( ruse, pierres taillées...) qui peut-être compensent une "faiblesse" face à des animaux plus munis par la nature ( griffes, fourrures, vitesse de déplacement...). L'humain a organisé ainsi la nature selon ses besoins. Mais dans le même temps, il a perdu certaines de ses capacités physiques instinctives, perdant en partie le contact avec la nature.
Supériorité? Infériorité? La philosophie se fonde sur la conscience humaine pour comprendre la "domination" de l'homme sur la nature. L'homme a conscience de sa fragilité, de sa petitesse. "Roseau pensant" de Pascal. Où l'homme se situe-t-il pour considérer qu'il n'est qu'un point minuscule dans l'univers, qu'il est limité dans le temps ( il est mortel, de passage)? Pascal: "Par l'espace, l'univers me
comprend et m'engloutit comme un point; par la pensée, je le comprends." Pensées. Cette conscience nous situe "au dessus" des autres êtres terrestres, malgré notre faiblesse physique. Des éléments de la nature ( tempête, feu...), des micro organismes (Ebola), peuvent nous détruire: c'est leur supériorité sur nous. Mais nous en sommes conscients.
Selon l'Ancien Testament, l'homme reçut la capacité de nommer les animaux, de disposer de la terre pour en tirer sa subsistance, pour en faire son lieu de vie. Cette mise à disposition implique la responsabilité de l'homme vis à vis de lui-même, de la nature, de la vie et le devoir de les sauvegarder, de les respecter.
Où est le curseur quant à ce respect de la nature, des animaux? Jusqu'où vont nos "droits "de les utiliser ou de nous en préserver? Aucune espèce animale n'a détruit la nature ni n'a mis la planète en danger. Seul l'humain "scie la branche sur laquelle il est assis". Pourquoi? Si nous étions des animaux, la sélection naturelle risquerait de nous détruire individuellement. La vie en société et ses inventions permettent largement d'échapper à ce risque. Cela justifie-t-il la destruction de la forêt amazonienne par exemple, l'exploitation industrielle des animaux, leur maltraitance? Faut-il en réaction limiter drastiquement les naissances humaines pour épargner l'exploitation de la nature? Pourquoi l'homme se multiplierait-il au détriment des autres espèces - antispécisme? La planète ne pourrait-elle pas, pourtant, nourrir tout le monde si les besoins humains étaient plus raisonnables? Une sorte de raisonnement schizophrénique nous guette: ne pas toucher aux animaux pour les respecter, mais pouvoir les couper en morceaux pour les manger. Question, de plus, du Karma  et de la réincarnation…
Cf Clark, biologiste: l'évolution d'une bactérie implique son autodestruction. Assistons-nous au même comportement de l'être humain qui va s'autodétruire car la terre va réagir?  Mythe de l'Atlantide: peut-être sommes-nous parvenus à ce point de destruction, précédant la création d'une nouvelle vie, d'une nouvelle société? Mythe qui constitue une mise en garde mais ne doit pas conduire au pessimisme. Au fur et à mesure que l'homme détruit les espèces, des espèces plus fortes prennent la place ( ex. des bactéries de plus en plus puissantes). Peut-être les humains les plus faibles doivent-ils être détruits? N'a-t-on pas rompu l'équilibre naturel? L'homme ne trouvera-t-il pas, cette fois encore, une solution pour échapper à cette autodestruction ( malgré l'aspect financier qui risque de privilégier l'argent sur la vie, ex. la vente des graines. ..)? Roman de Stephen King: destruction par les portables par ex. Malgré l'emprise des techniques et un certain confort, l'homme garde une part d'instinct lui faisant pressentir ce dont il a besoin ( certains aliments par ex.)
Certes, la culture nous rend différents des autres espèces, mais s'agit-il de "supériorité"? La vie est identique pour tous physiologiquement -nous sommes aussi constitués de bactéries, notre ADN est transcrit de la même façon que celui du poulpe -; mais il nous est impossible de communiquer avec une autre espèce qui nous réponde à part égale, même s'il y a des échanges affectifs  avec les animaux domestiques. ( Comment d'ailleurs s'est passé le contact avec Neandertal? ) La Nasa envoie des signaux dans l'univers en espérant qu'une forme de vie et d'intelligence comparable à la nôtre puisse les comprendre et y répondre. Car il apparaît maintenant fort probable aux scientifiques que d'autres espèces vivantes existent dans l'univers.  Notre "supériorité" ne réside-t-elle pas finalement dans notre responsabilité vis à vis de ceux dont nous avons la charge ex. un nouveau né, les passagers de la voiture que nous conduisons...? La supériorité physique -détention d'une arme pouvant donner la mort par ex.- permet la domination et la destruction mais cette " supériorité" est contestable.
Les antispécistes cherchent leur morale dans la nature, mais la nature reste silencieuse; elle ne parle pas. Sommes-nous autorisés à détruire les espèces végétales? Cf. les récentes études sur les arbres qui communiquent entr'eux, la protection du rejeton en l'enserrant de racines... La différence des espèces animales ou végétales établit-elle des droits différents? La supériorité relève aussi de la compétence, au service de la responsabilité envers les autres êtres. Question de l'intelligence artificielle sur laquelle l'homme voudrait se décharger.
Mais cette question du droit des hommes sur les autres espèces n'est-elle pas un problème de sociétés riches? Cette question ne se pose pas en Afrique. N'est-il pas absurde de tuer d'autres animaux pour nourrir nos animaux domestiques par ex. ? Voire pour faire des sacs en cuir etc.? Les humains sont carnivores, tuent des animaux pour se nourrir: est-ce malheureux?  "Je ne digére  pas les agonies".
Référence au livre "Du goût des autres" de Mondher Kilani (Seuil) au sujet du cannibalisme. Exemples du japonais qui mange sa fiancée pour se l'assimiler par amour; des survivants de l'avion écrasé dans la Cordillère des Andes, qui mangent les victimes; les persécuteurs de Jean de Brébeuf ( Condé-sur-Vire) ont mangé son coeur pour avoir son courage. Valeur réelle, nutritive, mais aussi symbolique, de la viande qui donne de la puissance (boeuf), excite les sens (d'où les privations du Carême); le Christ se présente comme une nourriture: manger son corps pour se l'assimiler, en recevoir la vie... Et qu'en est-il des animistes pour qui l'esprit est répandu dans toute créature?
Depuis quelques temps les animaux sont considérés comme des êtres sensibles et non plus comme de simples objets, du mobilier. Peut-on moralement s'autoriser à les tuer? L'être humain a besoin de nourriture, de protéines. Le droit, c'est l'homme qui le fait et aucune autre espèce ne peut le remettre en question. Dès lors, cette question du spécisme ou de l'antispécisme a-t-elle encore un sens puisqu'elle ne se pose que pour l'espèce humaine ?
Notre responsabilité nous engage non pas à ne pas tuer les animaux, mais à les tuer de façon éthique; il n'est pas contestable de manger de la viande ou d'utiliser des  produits issus des animaux, mais il importe de les traiter en respectant leur vie animale et en gardant la conscience de ce qu'est réellement cette vie (voir les bâtonnets de poisson par exemple, qui peuvent laisser ignorer aux enfants ce que sont les poissons). Ce qui est bon pour la société ne l'est pas nécessairement pour la nature. Faut-il faire "ce que tout le monde fait" ? Nous sommes déconnectés de nos véritables besoins ( le pain blanc des riches est devenu le pain des pauvres...). La nature ne nous appartient pas: nous sommes de passage et devons la respecter. Il est légitime d'en disposer puisque nous en avons besoin pour vivre. C'est un don qui nous est fait et dont nous devons prendre conscience pour le reconnaître et d'une certaine façon en remercier la nature. Sans les animaux, sans les plantes, il n'y aurait plus de vie humaine; toutes les espèces sont interdépendantes, en complémentarité. Les peuples vivant encore de façon "primitive"- ex. en Amérique latine- sont en osmose avec cette nature qu'ils utilisent juste selon leur besoin et dont ils font partie. Prendre conscience de notre appartenance à la nature et de sa générosité, de tout ce que nous en recevons en permanence, conduit à une forme de gratitude.
Cafephilo-saintlo.jimdo.com

Café philo du 10 octobre 2018 - Compétition, rejet et société démocratique

Télécharger
version à imprimer
Synthèse du CAFÉ PHILO du 10 octobre 201
Document Adobe Acrobat 27.4 KB

La compétition existe dans toutes les sociétés, au niveau politique ou individuel ; voir les jeux du cirque à Rome, les jeux télévisés et toutes les compétitions sportives éliminant les moins performants. Les États totalitaires la poussent à l'extrême. Témoigne-t-elle de la légitimité du droit des plus forts ? Qu'en est-il de ceux qui ne sont pas compétitifs? Sont-ils rejetés de la société, ou du moins maintenus en marge? Une société démocratique n'assure-t-elle pas au contraire à chacun, y compris aux plus faibles, le droit de vivre librement, selon la devise de la République française: "liberté, égalité, fraternité "? Quelle est alors la place de la compétition?
La compétition existe dans la nature, ne serait-ce qu'au niveau de la conception humaine: c'est le spermatozoïde le plus fort qui gagne. Mais le rôle de la société n'est-il pas précisément de compenser la nature et de tendre vers l'égalité des chances? Pourtant, dès l'école, les individus sont classés et les meilleurs, valorisés. Est-ce contradictoire avec l'idéal démocratique? Non, car il est normal de mettre en valeur les individus en utilisant leurs compétences, en tirant le meilleur d'eux-mêmes.
Plus problématique est la remise de médailles par exemple, qui effacent l’individu au profit d'un établissement, d'un pays…. De très bons scores sont gratifiants pour le sportif sans trop de problèmes pour qui n'est pas performant. La compétition est plus dérangeante lorsqu'elle devient une forme de discrimination qui rabaisse certains individus.
Car la frontière est ténue entre compétition et compétitivité. Les premiers de la classe ne sont pas nécessairement ceux qui font le plus d'efforts... Faut-il être compétent pour pouvoir être écouté, reconnu? Distinction entre la compétitivité individuelle et la compétitivité collective, qui  peut faire mutualiser les compétences individuelles.
Les entreprises doivent être économiquement compétitives bien que les critères d'élimination restent complexes. Les individus ne souhaitant pas entrer en compétition doivent-ils être éliminés ou les plus faibles ont-ils aussi leur mot à dire ? Est-il nécessaire d'être "compétitif" pour effectuer correctement un travail productif?
L'exemple est pris du travail des fourmis, les ouvrières effectuant chacune leur tâche sans compétitivité. Est-ce être compétitif que de vouloir progresser, se réaliser soi-même ? Faut-il pour autant être meilleur que les autres, avoir un pouvoir que les autres n'ont pas?
Étymologiquement, "cum-petere" signifie "demander avec", selon la notion de "compétiteur", qui comporte une notion de rivalité ou du moins d'affrontement. Cette rivalité existe à tous les niveaux:  Sartre n'a-t-il pas traité Camus de "faux philosophe"? Pasteur voulait être le premier à mettre en œuvre son vaccin contre la rage, prenant sans doute quelques risques. Atout ? Faiblesse ? Dérive? Ne serait-on pas plus performant en travaillant ensemble?  L'exemple est pris de la culture maraîchère: les collègues, à distance, discutent de leurs techniques mais hésiteraient s'ils étaient à côté les uns des autres, de peur que l'autre prenne le dessus. Chacun garde son secret. Au contraire, dans le Sud, tout est partagé dans une relation communautaire. La compétitivité s'acquiert et se maintient en commun.
La compétition évince certains. Le "gagnant" apporte-t-il pour autant quelque chose à la société?  Exemple: l'inventeur du métier à tisser a nécessairement évincé les artisans qui l'ont précédé, mais ce progrès technique n'a-il pas apporté un plus à la société? A moins qu'il ne soit récupéré par un petit groupe qui va ensuite asservir les autres? Le problème n'est plus alors celui de l'invention et du progrès, mais celui de la privatisation des moyens de production, de la financiarisation, l'argent étant au cœur de la compétitivité. Pourquoi de nouvelles techniques, agro-alimentaires par exemple, devraient-elles toujours annuler d'autres techniques plus anciennes? Pierre Rabbi a cultivé quelques hectares, oasis à taille humaine ( coopération de groupes), Paul Bedel fût accusé de ne pas être compétitif. Pourquoi ne pas pouvoir coexister?
S'étendant à tous les domaines (générations, études. ..) l'exigence de compétitivité anéantit tout ce qui va à son encontre, créant des clivages dans la société et une pression incessante (jusqu'au burn out). Cette accélération permanente, cette mobilité, cette compulsion du changement dans un flux permanent créent avec l'évolution technique et la mondialisation, ce que le philosophe polonais Zygmunt Bauman appelle une "société liquide": plus rien n'y est stable ni solide, rien ne s'enracine ( zapping). Cet état de " liquéfaction avancée" favorise l'individualisme, le repli sur soi des individus réfugiés dans le "paraître" à tout crin ( Rolex) et la consommation. Ceux qui ne peuvent suivre ce flux sont "séparés", rejetés, jusqu'à la création de formes de ghettos pour y mettre les "déchets" de la société. Exemple de certains quartiers et de certains établissements,  destinés à ceux qui sont "en marge" de la société et donc peu valorisés. Un hall de gare, par exemple aussi, laisse apparaître ceux qui ont "réussi" et ceux qui n'ont pas "réussi". Le mépris, voire la condescendance, paraissent pourtant inacceptables.
La maîtrise et la possession des outils informatiques les plus actuels permettent d 'être à la pointe de la compétitivité. N'y a-t-il pas pourtant d'autres voies possibles pour les individus? La société impose-t-elle une seule direction, ou plutôt n'est-il pas plus confortable, moins risqué, de suivre cette direction, plutôt que de chercher sa propre voie? Ne peut-on être heureux tout en ne réussissant pas dans la compétitivité?
Le refus de la compétitivité dans ses aspects négatifs, relève aussi de la responsabilité personnelle, chacun devant s'interroger et faire des choix ( ne pas céder à la surconsommation par exemple, prendre des dispositions écologiques. ..). Toutefois cette responsabilisation des individus ne doit pas aboutir à leur culpabilisation, à la décharge du pouvoir des politiques.
Mais comment agir en démocratie -donnant le pouvoir à la majorité- , lorsqu'on est en marge? S'agit-il bien d'ailleurs d'une majorité, ou plutôt d'une grande diversité? Rôle des "collectifs" qui peuvent agir auprès des élus ou mettre en place d'autres fonctionnements: commerce équitable, développement durable, échanges de services solidaires-sel- hébergement des réfugiés, ou refus de se voir imposer, par exemple, des compteurs Linky, problème des ondes électromagnétiques... Il reste difficile toutefois de passer de l'échelle individuelle à l'échelle collective, ex. pour le refus ou la limitation de l'énergie nucléaire…
Notre société semble de plus en plus "matérialiste". Dans les urnes le peuple adhère-t-il à cette société? La démocratie n'est-elle pas devenue le pouvoir de la minorité la plus importante? Notre démocratie représentative subit surtout une crise de la représentation: le peuple ne se sent plus représenté par ses élus. L'abstention ne témoigne-t-elle pas d'un refus de la compétition politique ( politicienne)? Exemple de la Suisse qui pratique une démocratie directe où le peuple vote pour chaque question.
La compétition peut aussi être envisagée au service de l'humain, de la solidarité; compétition sans rivalité qui consiste à mutualiser les compétences pour agir le plus efficacement possible ,créant une émulation. Certaines écoles -Montessori, Summerhill -tentent de supprimer la compétition- rivalité à l'école, au profit du plus grand épanouissement de l'enfant. L’éducation Nationale tente d'introduire aussi cette dimension. Cela signifie-t-il que les enfants devront ensuite se "réadapter" à la société nécessairement compétitive? Ou cette éducation, et la volonté des individus, parviendront-elles à changer cette société, la rendant plus solidaire, remettant l'humain et la nature au cœur de la vie sociale, construisant une communauté qui ne rejette pas mais respecte la vie et l'épanouissement de chaque personne , d'abord essentiellement créatrice?

Café philo du 18 avril 2018 - En démocratie, la vérité et la prise de décision appartiennent-elles aux experts ?

Télécharger
version à imprimer
CAFÉ PHILO du 18 avril 2018.pdf
Document Adobe Acrobat 39.7 KB

Utiliser les connaissances de plus en plus pointues dans les différents domaines -voire l'intelligence artificielle- pour gouverner, peut paraître positif pour l'épanouissement des citoyens. Mettre la raison et le savoir scientifique au service de l'organisation politique était l'idéal de la philosophie des Lumières au 18ième siècle. Mais un gouvernement d'experts, guidé par ces connaissances "scientifiques", donc objectives et neutres, est-il compatible avec la démocratie (gouvernement du peuple par lui même)? L'application technique de ces savoirs ne se fait-elle pas au détriment du choix politique et en particulier du choix des citoyens?

Les pouvoirs en France sont répartis. Ce sont les politiques qui décident, mais qui ont recours aux experts, face à la complexité des problèmes à résoudre: économie, mondialisation, environnement, terrorisme, migration etc. Les politiques et les experts ont un devoir d'explication envers les citoyens, mais est-ce la seule expertise qui doit déterminer finalement l'organisation de la société ? Ne faut-il pas remettre l'expertise -le savoir des "spécialistes" sur une question- à sa juste place?
Quelle est la responsabilité des experts? Car ce sont les politiques qui prennent les décisions (le président de la République contre un général par exemple). Qu'en est-il des scandales sanitaires, des vaccins, des subprimes et de la crise financière, de la climatologie et des climatologues sceptiques etc.? Il y a une crise de confiance de la population envers les experts, dont on ne croit plus que les savoirs soient neutres, ni même assurés. Les experts semblent avoir une connivence avec les entreprises ( ex. affirmation de la non dangerosité de certains produits comme les pesticides), avec les enjeux financiers (lobbies), avec le pouvoir, qui fait jouer la "complexité "des questions au détriment du choix des citoyens, jugés non compétents. Ces connivences créent une opacité des expertises, non indépendantes (qui les paie?) et confrontées aux conflits d'intérêts.
Qu'en est-il alors de notre démocratie? Certes, un moindre mal face aux dictatures; mais est-ce une réponse suffisante? Les décisions politiques ne sont-elles pas prises finalement par les groupes financièrement les plus puissants? Et ce, quelque soit la bonne volonté des hommes politiques essayant d'améliorer la vie quotidienne des citoyens?

      Supposons des hommes politiques honnêtes et bienveillants, et des experts indépendants, objectifs, neutres. Peut-on admettre que la meilleure décision politique est à trouver du côté des experts, c'est-à-dire de "ceux qui savent" mieux que les citoyens et avant eux? Exemple de la réforme de la SNCF: la ministre, "experte", est-elle juste chargée d' appliquer ce qui est apparu comme la meilleure et la seule réforme possible? Ou la démocratie ne se fonde-t-elle pas sur la négociation, la réduction des contradictions, la recherche de compromis? Considérer qu'il n'y a qu'une seule bonne façon de faire les choses ( pensée unique) apparaît comme lié au libéralisme total. Toutefois, le citoyen doit aussi faire confiance au politique qui a été élu, en même temps que le politique doit lui faire comprendre comment les choses fonctionnent.
Exemple: le politique devra autoriser ou non la circulation des voitures autonomes, qui ont déjà provoqué la mort accidentelle d'une personne. L'expert saura-t-il dire quand ces voitures seront totalement sûres? Le citoyen souhaitera-t-il leur utilisation? Le vote permettra aux citoyens d'élire tel ou tel homme politique selon le projet qu'il prévoit de mettre en oeuvre.
Référence est faite au livre "Super intelligence", publié aux éditions Dunod sur la question de l'intelligence artificielle, à laquelle les experts travaillant sur ce sujet sont favorables. Certains autres experts toutefois restent plus réservés quant à son développement. Comment discuter sur ce sujet et prendre position alors que personne ne sait ce qu'il en sera dans 10 ans et plus, que le fonctionnement du cerveau humain n'est pas même encore totalement connu? Cette intelligence
pourra-t-elle être consciente d'elle-même? L'esprit humain pourra-t-il la contrôler? L'expert a tendance à promouvoir le domaine dont il est spécialiste; son avis de plus peut être biaisé par une idéologie -le transhumanisme en ce qui concerne l'expert de la "super intelligence"- bien qu'il proclame son objectivité. Cet expert écrit clairement qu'il veut remplacer l'homme par la machine,  prônant un modèle technologique de l'humanité. Les politiques, les députés, sont-ils en mesure de prendre "les bonnes décisions"? En possession des dossiers d'experts, disposent-ils toutefois de tous les avis possibles? Se donne-t-on des contraintes éthiques, morales ou cherche-t-on dans tous les sens possibles, comme le font les chinois par exemple? Comment contrôler d'éventuelles fausses informations sur ces sujets techniques pointus? Tout peut être dit face à ceux qui ne savent pas, qui ne maîtrisent pas ces sujets. Les experts doivent-ils déterminer la décision politique? Non pas seulement car les citoyens doivent réfléchir et débattre tous ensemble.
Toutefois la technologie -et donc le pouvoir des experts- ne nous sont-ils pas imposés dans notre société, sans choix des citoyens? Exemple: nécessité pour la vie quotidienne d'utiliser ordinateurs et portables, de se doter de telle application... ; question de l'utilisation des données sur Face book etc. Cependant, est-ce bien propre à la technologie? Les égyptiens avaient-ils un pouvoir face à Toutankhamon?
Nous n'aurions donc pas le choix. Certes, il est possible de refuser d'utiliser telle ou telle technologie ( portable, cartes, internet...) mais certains choix imposent alors de sortir du "circuit"; la possibilité de choisir est donc illusoire; nous serions comme absorbés par les spécialistes.
Il faut cependant distinguer les experts attachés à des entreprises, et ceux qui communiquent et qui influencent les comportements des individus dans la société. Un politique, par ex. un maire, peut se considérer comme expert pour interdire ou autoriser tel dispositif dans sa commune (ex. dos d'ânes pour ralentir les voitures et passage de chevaux). Mais les expertises ne sont pas toujours concordantes (par exemple sur la nocivité du lait pour les humains; les femmes asiatiques ne seraient pas atteintes d'ostéoporose car elles ne consomment pas de lait; les produits solaires comporteraient des nanoparticules nocives, ce que nient les laboratoires. ..). A chaque citoyen de réfléchir et de se construire une opinion,  avec ou sans l'avis des experts, ou en ayant recours à des contre expertises. Mais il n'est pas -ou n'est plus- accessible à tous de réfléchir, lorsqu'on est pris dans un contexte difficile, privé de la disponibilité d'esprit nécessaire.
L' "expert" est celui qui est "au-dessus"des autres dans sa profession (ex. un cardiologue, un expert comptable, un expert en justice...). Suffit-il d'être expert pour bien rendre la justice ? Celle-ci, en cour d'assises est rendue "au nom du peuple", d'où la présence des jurés. Peut-on les supprimer pour accélérer les procédures par ex. et se limiter aux décisions des magistrats? Certes est-il utile d'accéder aux expertises mentale, psychologique, psychiatrique...d'un accusé, et les jurés ont-ils besoin d'un éclairage; mais c'est à eux que revient la décision, qui relève d'une réflexion et d'un choix populaires, et non pas seulement d'une conclusion technocratique.

Les choix des citoyens lorsqu'ils votent ou acceptent certaines pratiques sociales (métro sans conducteur, ubérisation, système de vente d'Amazon...) répondent finalement à la question: quelle société voulons-nous? Un élu (n'ayant peut-être que 30% des voix), exerce-t-il seul légitimement le pouvoir, ou bien la légitimité de la décision appartient-elle aussi aux citoyens disposant du droit de s'exprimer, de débattre publiquement voire de s'opposer à un projet par des manifestations? Beaucoup de lois ou projets, lors de la 5 ième République, n'ont pas été adoptés car les citoyens ne les acceptaient pas ( ex. la loi Devaquet, l'aéroport de  Notre-Dame des Landes...). La contestation du pouvoir, y compris de celui qu'exercent les experts, est donc possible.
La mécanisation du travail, le chômage qu'elle entraîne, les nouvelles technologies, engendrent des systèmes qui "broient les humains". Subissons-nous cette société technologique -en même temps que nous profitons - ou ne crée-t-elle pas aussi des réactions, des forces d'opposition, qui obligent à se remettre en question et à s'orienter vers de nouveaux choix? ( Ex. des commerçants confrontés à la concurrence d'Amazon...). Apparaît une exigence de retour de l' humain, de l'artisan, expert dans son métier, des artistes qui se produisent davantage sur les scènes locales, d'une multitude d'actions menées par des associations; exigence écologique d'adopter d'autres comportements plus respectueux de la nature et de l'environnement, création de nouveaux modes
de vie.
Deux systèmes coexistent: celui que produit la technologie mondiale ( Amazon...) et les circuits solidaires, locaux, bio... Nous sommes dans une époque transitoire et nos enfants devront faire des efforts de création; car la technologie n'est pas responsable de l'inhumanité de nos sociétés, mais bien les choix des citoyens. Condorcet le disait déjà au 18ième siècle: il est possible d'instruire tout un peuple de ce qu' il doit savoir et des méthodes à utiliser pour ne pas dépendre aveuglement de ceux qui prennent les décisions, qui sont chargés des affaires, ou de la défense de leur droits (Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain). L'exercice de la raison doit permettre d'assurer la liberté de choix du citoyen. Certes, il faut faire confiance aux experts, nécessaires à l'organisation et au bon fonctionnement de la société, mais non pas sans explication ni esprit critique. La mise en débat des expertises et des contre expertises est un outil démocratique car les savoirs des citoyens peuvent ouvrir de nouvelles possibilités, la raison ne se limitant pas à la rationalité scientifique et technologique. Ni le discours du savoir ni la légitimité du pouvoir de décision ne doivent être laissés exclusivement à ceux qui gouvernent, d'où l'exigence de la diffusion de l'information et de la prise de parole des citoyens dans les débats démocratiques.

Café philo du 21 mars 2018 - Identité, égalité homme femme

Télécharger
version à imprimer
CAFÉ PHILO du 21 mars 2018.pdf
Document Adobe Acrobat 42.4 KB

       L'égalité de droit de l'homme et de la femme semble reconnue dans notre société, même si elle est loin d'être toujours mise en oeuvre. Mais cette égalité de droit signifie-t-elle l'absence de différences entre l'homme et la femme? Fait-il bien partie de notre identité d'être une femme ou un homme, notre sexe figurant obligatoirement sur notre carte d' identité? L'Allemagne par ex. reconnaît un sexe neutre, qui n'existe pas en France.
" On ne naît pas femme on le devient" écrit Simone de Beauvoir, au 20 ième siècle ( "Le deuxième sexe") : être femme serait une construction culturelle, un produit de la société, la différence physique n' impliquant aucune différence dans les choix de vie, le caractère, les comportements...  des hommes et des femmes.
Pourtant dans le récit de la "Genèse" (Ancien Testament), et donc dans la pensée judéo - chrétienne, il est dit que Dieu a créé l'homme à son image. De même "nature"(essence), puisqu'il s'agit d'êtres humains, l'homme et la femme sont toutefois originellement différents. L'Homme (Adam), a reçu la capacité de nommer les animaux et les êtres de la nature. Il est conscient de son existence sur terre et conscient aussi de sa solitude, qu'aucun être jusque là ne peut rompre. La Femme ( Eve), est créée à partir d'une côte d'Adam, ce qui signifie qu'elle est d'une nature identique, en complémentarité avec celle de l' Homme. Avec elle seule il peut "ne former qu'une seule chair". L'un a besoin de l'autre pour être achevé: ce sont des êtres de relation, et cette relation est créatrice puisqu'elle assure la fécondité, physique, mais aussi psychologique, intellectuelle, spirituelle... Relation à l'image de la relation entre les trois personnes divines: Père, Fils et Esprit (Trinité). Dieu est créateur par cette relation entre trois personnes de même nature -divine- mais différentes. En ce sens la famille humaine est à l'image de Dieu; la relation physique (sexualité, fécondité) est elle-même l'image d'autres relations créatrices, le corps, la chair, n'étant pas en rupture avec l'esprit dans cette religion de l' "incarnation" ( Dieu s'est fait chair). De même "nature", de même dignité, l'homme et la femme sont donc différents dans un rapport de complémentarité et de fécondité. ( comparaison avec l'électricité par ex. produite par deux pôles différents +,-).
Certes ce texte de la Bible n'est pas un ouvrage scientifique (3000 ans avant J.C), mais cherche de façon poétique, à donner une signification à la vie humaine, homme et femme, dans la nature ( le monde physique), et dans les sociétés- les cultures- qu'ils vont créer.
Darwin et la théorie de l'Evolution contredisent-ils la religion? Création et évolution ne sont pas nécessairement opposées: la création peut être destinée à évoluer (Adam a été créé à partir de la matière, de la glaise). Teilhard de Chardin, prêtre, biologiste, explique l'Evolution de la matière vers l'esprit, de l'esprit vers l'avènement de Dieu, à la fois le commencement et la fin, l'alpha et l'oméga.
Analysant les textes de la Bible sur l'homme et la femme, Jean-Paul II insiste sur la dimension du don réciproque, de la transmission et de l'accueil de ce don, qui assure la création de quelque chose qui dépasse chacune des deux personnes, à l'image de la relation sexuelle.
Cette conception de l'homme et de la femme, différents, unis dans leur complémentarité par le don réciproque, a imprégné la pensée et les sociétés depuis des millénaires. Est-elle remise en question?

Référence est faite à un documentaire vu sur Arte: un groupe de parents norvégiens élève les enfants en ne faisant aucune distinction entre les garçons et les filles, donnant des jouets indifférenciés, n'utilisant ni "il" ni "elle" etc. Ils ne se comportent ni en fille ni en garçon. Cela ne posera-t-il pas finalement un problème psychologique? De plus, nous sommes bien égaux en droit, mais non en fait: caractéristiques physiques, couleur de peau, force musculaire, santé... L'égalité de droit gomme-t-elle les différences?
Les suédois ont entrepris, il y a 30 ans, la même expérience: il apparaît maintenant que les femmes choisissent finalement des métiers considérés comme plus féminin ( infirmière,
puéricultrice...), tandis que les hommes se tournent vers la mécanique, l'ingénierie etc. Sans doute certains hommes pratiquent-ils des métiers "féminins" (ex. sage-femme. Socrate se présente comme un "accoucheur des esprits"...); mais chaque être humain comporte en lui une part de féminité et de masculinité. Cette différence ne serait donc pas uniquement culturelle?
Les différences physiques, certes, mais aussi psychologiques, sont constatables. Par exemple, les rondeurs féminines ( "culottes de cheval"...) constituent des réserves en cas de pénurie; les femmes ont une plus grande résistance à la douleur ( accouchement), sont plus compatissantes: le Dalai lama incite les jeunes à faire la révolution de la compassion et espère que les femmes accéderont au pouvoir; plus empathiques, sensibles et réceptives, elles éviteraient violences, carnages, destructions etc. La force physique, musculaire, au contraire, assure la domination des hommes d'où suivent les inégalités, même s'il y a des hommes compatissants.
Il existe bien des sociétés matriarcales mais en très faible proportion. N'est-ce pas un mythe? Le fait qu'il y ait 97% de patriarcat ne traduit-il pas une logique sous-jacente liée à la différence entre les hommes et les femmes? Il y a toujours des contre-exemples  -Jeanne d'Arc guerrière, Marie Curie, Margaret Thatcher, la dame de fer etc. - qui ne contredisent toutefois pas la domination masculine.
Dans le domaine sportif -jeux olympiques, matchs, compétitions- les hommes et les femmes sont séparés; leur différence est donc reconnue ( aucune femme ne rivalise avec les hommes en Formule 1 par ex.). La "stratégie" des femmes différe aussi de celle des hommes, plus directe. Allusion aux "blagues sexistes" auxquelles les femmes allemandes réagissent beaucoup plus directement que les femmes françaises. Question du harcèlement: n'est-il pas lié à la différence sexuelle naturelle- physiologique, hormonale- de l'homme et de la femme, dans le jeu de la séduction, autant qu'à la culture? L'importance de la sexualité dans notre société peut-elle s'accompagner d'un effacement de la différence entre l'homme et la femme ?
L'éducation joue un rôle important dans le futur comportement sexuel d'un homme ou d'une femme. Mais les médias, les films, les publicités etc. véhiculent des "codes": ex. les femmes décolletées, à moitié dévêtues au festival de Cannes. Tenues artistiques? Connotation sexuelle? Comment interpréter ces "codes"? Désir naturel de rencontre, harcèlement ? Notre société, par souci de protection des droits des femmes, ne devient-elle pas trop procéduriere? Va-t-il falloir (comme en Suède) un consentement explicite avant toute relation sexuelle? Le droit de s'habiller comme on le souhaite autorise-t-il des tenues affriolantes pour une députée par ex. s' exprimant à la télévision? Chacun ne doit-il pas tenir compte du contexte social du moment?
La femme "objet" du désir de l'homme, utilisée sur les panneaux publicitaires, les podiums, ne doit -elle pas garder la possibilité de faire ce travail s'il lui convient? Non plus alors "femme objet" mais personne libre?
Pourquoi, à la piscine par ex., les hommes ne peuvent-ils pas accompagner les petites filles dans les vestiaires? Sont-ils plus pervers que les femmes - question hormonale-, d'où l'obligation de protéger les enfants? Il est rare, en effet, d'entendre parler de femmes qui violent les enfants.

Les différences entre l'homme et la femme, naturelles ou culturelles, impliquent-elles nécessairement une hiérarchie, un rapport de soumission? Pourquoi y aurait-il une compétition, un conflit entre l'homme et la femme? Des modes de fonctionnement différents ne signifient pas une rivalité, des camps opposés ni un rapport de force. Pourquoi vouloir comparer? Du moins la comparaison peut-elle se faire en complémentarité. Hommes et femmes sont dans la même envie de communiquer, de parler, de s'écouter -comme en témoigne ce café philo- ou de vivre ensemble. Mais le danger de la complémentarité est d'assigner une personne à une place, de lui attribuer des rôles définis, comme accéder au pouvoir, gagner de l'argent, garder les enfants, d'où la culpabilité de ne pas, peut-être, assurer ce rôle. Pour asseoir son pouvoir socialement, un homme a besoin d'avoir une femme (mariage), une ou des partenaires...les femmes restant tributaires de ce modèle. Qu'en est-il alors de la "virilité", que signifie-t-elle? "Vir" signifie "homme" en latin. La féminité se distingue de la masculinité, dont la virilité est comme un sous ensemble. Selon Michel Serres, le héros viril des champs de bataille n'est plus valorisé mais plutôt accusé de violence et de meurtre.
L'homosexualité dans la société antique grecque à domination masculine, était signe de virilité et
contribuait à donner du courage aux hommes dans la bataille, selon Platon. Ayant aussi un rôle éducatif pour les jeunes hommes, elle restait totalement au dehors du mariage et de la procréation. Exemple de Freddy Mercury, viril ou pas? L'homosexualité dans notre société  a une autre signification, liée à l'égalité des droits de l'homme et de la femme.

La théorie des genres était au départ une méthode pour rechercher ce qui, dans le comportement féminin ou masculin, relevait de la culture, de la société, ou de la nature, la biologie; ce qui était acquis ou inné. Pour autant, sommes-nous indifféremment homme ou femme? Ou plutôt cette différence relève-t-elle uniquement de notre éducation? Le marxisme voulait instaurer une communauté des hommes, des femmes et des enfants, la cellule familiale issue du mariage étant "la première cellule de répression" et l'éducation bourgeoise la cause du rapport d'appartenance entre les personnes ( ma femme, mon mari, mes enfants); rapports d'appartenance qui suscitent la jalousie. Peut-on concevoir une société ou l'égalité de droit gommerait toute différence entre l'homme et la femme, libre de choisir son ou ses partenaires, son travail, son comportement,  indépendamment de tout modèle social établi?
C'est ce que souhaitait Simone de Beauvoir dans " Le deuxième sexe", voulant sortir des codes étouffants de la grande bourgeoisie où la voie d'une jeune fille de bonne famille était toute tracée.  Ces idées de S. de Beauvoir sont en accord avec l'existentialisme de J.P. Sartre, pour qui nous n'avons pas de "nature", nous sommes venus au monde de façon contingente -nos parents auraient pu ne pas se rencontrer..., nous ne sommes faits pour rien, personne n'attendant rien de nous. Une femme n'est pas " faite pour avoir des enfants ", la maternité et la paternité étant certes biologiques mais relevant du seul choix de la conscience. Pas de Dieu, pas de "Dieu le Père", pas de destin, seulement des conditions d'existence physiques, spatiales, temporelles. Nausée, désespoir voire suicide face à ces êtres dénués de sens? Mais si rien n'a de sens, alors la conscience de chacun est libre de choisir le sens de ses actes, de son existence; à condition que la société "n'aliéne" pas les choix, ne les détourne pas. D'où le marxisme révolutionnaire de Sartre visant à créer une société où chacun puisse exercer réellement sa liberté de choix.

Choisir le sens de sa vie qui, en elle-même n'en a pas? Ou chercher à s'épanouir en réalisant sa propre nature, d'être humain ("devenir humain" Erasme), d'homme ou de femme?
Si tout être humain a une part de "masculinité" et de "féminité", selon quels critères les nomme-t-on ainsi ? Statistiques? En fonction de temps et de lieux différents? Ou biologiques, naturels, le corps masculin ou féminin sexué restant la base de cette distinction?
Tout dans l'existence humaine - le besoin de se nourrir, de s'abriter, de se protéger, de procréer... -est relayé par la culture, par des sociétés dont les moeurs, les habitudes, les normes varient. Les grands modèles, les archétypes, comme la mythologie  (Vénus, Apollon...), les religions, l'inconscient collectif (Jung), voire la pensée scientifique, s' ajoutent aux données physiologiques. (La testostérone, par ex. pousse l'homme à l'action...). Tout élément culturel n'a-t-il pas aussi un point d'ancrage dans la nature, dans une intrication de l'inné et de l'acquis?
Tout groupe social a besoin pour fonctionner de classer, d'attribuer des rôles aux individus, de se fonder sur des dualités, des réciprocités. L'être humain garde la possibilité, par sa conscience, de prendre une distance par rapport au physiologique et au culturel, ce qui assure sa liberté de choix du sens, de l'orientation qu'il donne à sa vie.

Café philo du 21 février 2018 - Changer de valeurs

Télécharger
version à imprimer
CAFÉ PHILO du 21 février 2018.pdf
Document Adobe Acrobat 48.8 KB

Changer de valeurs car elles n'auraient plus de valeur à nos yeux? Aux yeux de la société? Sur quoi donc est fondée la valeur de nos valeurs? Et pourquoi peuvent-elles perdre leur valeur?
"Valeur" vient du latin "valere": être fort, puissant, "vaillant". "Aux âmes bien nées la valeur n'attend pas le nombre des années", proclame Rodrigue dans "Le Cid" de Corneille. Y-a-t-il des valeurs "innées", ou le choix de nos valeurs dépend-il de notre personnalité, de nos conditions de vie...? Les valeurs sont-elles donc variables selon les sujets, subjectives?
Un travail par exemple (banque, gain des entreprises...) peut ne plus correspondre aux aspirations de quelqu'un qui donc, va s'orienter vers un autre travail. La personnalité est-elle indépendante des valeurs qu'on a? Ces valeurs sont transmises par la société, l'éducation, voire imposées. Un individu "rebelle" veut en changer, d'autres vont les intégrer selon leur personnalité. Il y a des métiers qu'on exclut parce qu'ils ne correspondent pas à nos valeurs. Exemple: l'argent n'est pas une valeur, bien qu'on parle de la "valeur" de l'argent, que ce qui a de la valeur est ce qui a du "prix" à nos yeux, ce qui "vaut" la peine d'être fait. La vie "vaut" la peine d'être vécue, son prix est inestimable; peut être est-elle la valeur suprême?
Pourtant, par exemple, Churchill décide de ne pas évacuer un quartier de Londres en cas de bombardement. Au nom de quoi faire mourir ou laisser mourir des êtres humains? De la liberté, de la paix, de la victoire? Ou pour épargner un nombre de vie plus considérable encore? Le "prix" de la fin de vie par ex. varie d'un pays à l'autre, dans l'acceptation des sommes remboursées par la sécurité sociale.
La valeur de l'argent, outre sa valeur d'échange, vient de sa provenance, éventuellement de la bienveillance d'un ami (volonté de rendre service), de sa générosité, le don d'un chèque par ex. étant fondé sur la confiance. En ce sens le remboursement par l'Etat d'une somme due n'a pas de valeur. Pourtant, l'Etat se base aussi sur un système de valeurs, fondé sur l'équité entre les citoyens, la notion de droit et celle de "devoir". Selon notre république démocratique, "les hommes sont libres et égaux en droit". Ces valeurs sont-elles reconnues par tout homme même si elles ne sont pas toujours appliquées, sont-elles donc universelles, objectivement reconnues? Certains considèrent la "Déclaration universelle des droits de l'homme" comme un nouveau moyen occidental de colonisation. Cherche-t-on a imposer nos valeurs dans un but de domination? Ne s'agit-il pas plutôt de protection de l'être humain, tout n'étant pas permis?
L'égalité est bafouée tous les jours. Peut-être une valeur n'en est-elle vraiment une que lorsqu'on se bat pour elle? Comme la bonne santé, la paix, la liberté: la conscience de leur valeur disparaît lorsqu'elles semblent acquises. Des droits qui n'existaient pas à d'autres époques, relèvent maintenant de la banalité: ex. porter des chapeaux était réservé aux nobles ou aux riches. Le chapeau symbolisait alors la reconnaissance de la valeur sociale de la personne; de même pour le port de l'uniforme...
La notion de valeur implique celle d'évaluation, de jugements de valeurs, financières, sociales, morales... L'"objectivité" de certaines valeurs -d'une oeuvre d'art, des principes de la démocratie, du bien ou du mal- n'est-elle pas en rapport avec un groupe social? L'égale valeur de la vie humaine -celle d'un esclave ou d'un homme libre, noir ou blanc... pose encore question. A cet égard,  le christianisme a contribué à changer les valeurs en faisant de tout homme un enfant de Dieu, ce qui conduit à la fraternité de tous, issus du même père.
Toutes les vies humaines se valent-elles? Hitler a-t-il la même valeur que Gandhi? Il est nécessaire de dissocier la personne de ses actes et comportements. A ce titre, Hitler a autant de valeur que Gandhi : le jugement porte sur les actes, dont la personne certes est responsable et qu'elle doit assumer, mais non sur la valeur de la personne en tant qu'être humain, toujours susceptible d'évoluer, de changer, d'adopter de nouvelles valeurs. C'est bien la personne qui agit selon ses valeurs, mais le contexte social, historique, politique, peut aussi être déterminant.
L'obéissance par exemple, ne peut-elle pas conduire à ne plus respecter ses valeurs? Voir l'idée d'Hannah Arendt sur la banalisation du mal. Les chinois auraient-ils dû refuser de supprimer un deuxième enfant au 20 ième siècle pour limiter la population? La radicalisation djiadiste, dont on condamne bien sûr les actes, prône des valeurs supérieures. Le "mal" ne se fait-il pas au nom de valeurs présentées comme positives? Goebbels a mis en évidence des valeurs nobles pour valoriser la jeunesse: sport, encadrement, dépassement de soi, élimination de la vermine... Le vice prend le masque de la vertu (Nietzsche). Mais une valeur forcée reste-t-elle une valeur?

La valeur est-elle une norme? Une norme définit des frontières; la valeur est autre chose. Mais n'est-elle pas une norme qu'on se donne à soi-même? Devenue simple norme, la valeur serait dévoyée, davantage semblable à un code. Ex. la bien pensance, être toujours positif et optimiste. Mais une valeur qui serait uniquement subjective, valable pour un seul individu, pourrait-elle avoir une valeur ? Chacun valorise un acte, un objet, en fonction de son propre jugement, mais selon une valeur reconnue par les autres. Exemple : un louis d'or offert à une personne par son grand père, a pour cette personne, une valeur affective, familiale, transgénérationnelle qui crée du lien.
Les valeurs morales sont dites "normatives" car elles régulent l'action humaine, ex. ne pas tuer, ne pas voler... Ne pas les respecter entraîne des conséquences au niveau de la conscience morale (culpabilité par ex.) ou au niveau de la loi. Ces valeurs sont donc personnelles et sociales. Ne peuvent-elles être innées? Liées alors à la biologie? A la survie de l'espèce peut-être selon ses besoins? Les valeurs sont aussi construites avec l'évolution de la société, qui ne cesse de se transformer. Dans la Rome antique, tout crime n'était pas puni; les individus, en changeant de valeurs, changent aussi la société. L'exemple est pris de l'évolution technique liée à la transformation de certaines valeurs : faire du vélo, qui n'est pas une valeur en soi, est devenu le symbole du sens de l'effort, de l'aventure, du respect de la nature, de la détente et du loisir, mais aussi de la compétition, la technique créant des vélos de plus en plus performants - utiles pour un usage pratique- mais aussi liés par leur sophistication à des valeurs sportives, économiques, financières... Ces valeurs sont alors des constructions sociales qui évoluent, se détruisent, se transforment.
Notre société valorise l'esprit de compétition, devenue dans le domaine sportif, un enjeu d'audience à la télévision, et une valeur sociale de "communion" des spectateurs qui vibrent devant un match par exemple. Embrigadement? Pseudo religion qui canalise et console les gens?
Du pain et des jeux: divertissement qui allège le poids de la vie? Ou bien, réel plaisir de regarder ou mieux encore, de pratiquer le sport? Les valeurs relèvent-elles finalement du jugement de la raison ou des sens? Voire du plaisir, du ressenti, de l'instinct grégaire ou du besoin de sécurité? La démocratie ne découle-t-elle pas elle-même de cet instinct? Nietzsche dénonce ces valeurs d'égalité, de sécurité, qui masquent en réalité le règne de la "médiocrité", du troupeau au sens péjoratif ( grégarité), de la soumission, de l'absence de valeurs créatrices, transcendantes. Il est urgent, selon Nietzsche, de dévaloriser ces valeurs creuses (nihilisme) au profit de valeurs de dépassement de soi, de création, de nouvelles valeurs spirituelles - permettant l'avènement du "surhomme".
Certes, certaines personnes et associations luttent contre cette "culture de masse" en défendant des valeurs par ex. humanistes ( défense des immigrés...), artistiques, intellectuelles, spirituelles.
Il est question de la "joie collective" à réfléchir ensemble au café philo. Cette joie peut être, selon les personnes, plus "physique", ou plus "intellectuelle".
Mais de quel droit émet-on des jugements de valeurs et hiérarchise-t-on ces valeurs? Agir par instinct, par plaisir, est-ce bien une valeur? La création artistique en revanche, la beauté, la "beauté intérieure" sont reconnues comme valeurs, de même que la générosité (ex. aider les autres, donner de son temps après son travail pour aider les enfants dans les hôpitaux "vaudrait" mieux que de ne rien faire). Car les conséquences pour les autres, et pour soi-même, sont positives. Une valeur rend "vaillant" et ne peut être restreinte ni artificielle, l'expérience montrant alors ses conséquences négatives.
Toutefois, le système de valeurs varie d'une société à l'autre voire à l'intérieur d'une même société, et chacun peut passer d'un système à un autre. Le bouddhisme de l'Ouest par ex. se développe en
Europe. Des chrétiens, peut-être déçus, se tournent vers la pensée bouddhiste, et reviennent parfois à un christianisme renouvelé. La valeur de production, bonne dans une société qui développait une agriculture industrielle, utile pour nourrir le plus grand nombre, disparaît au profit d'un système de protection de la nature, et de qualité... La réflexion a fait perdre alors le sens et la force des anciennes valeurs. Est remis en jeu le sens qu'on donne à sa vie et la construction de soi-même selon notre conscience intime.
Cette "disparition" de valeurs, accompagnant le changement de la société, va de pair avec le sentiment de la "perte des repères" qui marque souvent la succession des générations. Les valeurs liées à la famille notamment, évoluent : quelle valeur les notions de féminité, de virilité prennent-elles à notre époque? De paternité et de maternité? On constate là un changement des valeurs.
Ne reste-il pas toutefois des valeurs universelles, valables dans chaque société, à toutes les époques, pour tous les humains? Le respect de la vie (même s'il est parfois bafoué), de la nature -qui nous rappelle à l'ordre-  et de la mort, est fondateur de toute culture -le "culte des morts" étant présent dès la préhistoire. Ce respect, toutefois, s'exprime différemment d'une société à l'autre, comme l'amour, la générosité, la compassion...qui ont traversé les temps. Le sourire a été présenté comme un exemple de l'universalité des émotions.

Café philo du 24 janvier 2018 - Les ambiguïtés du langage : quelles conséquences ?

Télécharger
version à imprimer
CAFÉ PHILO du 24 janvier 2018.pdf
Document Adobe Acrobat 45.9 KB

Les ambiguïtés du langage peuvent venir des mots, parfois dotés de plusieurs sens (ex. un hôte), ou des phrases dont le sens n'est pas clair à première lecture ou audition. Le contexte permet souvent d'en clarifier la signification. Le mot "sel" par exemple, n'a évidemment pas le même sens lorsqu'on dit "passe moi le sel" et lorsqu'on dit à quelques personnes: "Vous êtes le sel de la Terre" (phrase contenue dans les Évangiles). Ce deuxième sens, symbolique, métaphorique, exige qu'on pense aux vertus du sel: saveur (mettre du sel dans sa vie ), conservation..., s'il perd sa saveur que vaut-il ? Et il va au-delà de ces sens puiqu'il qualifie ici des personnes (goût, saveur, sagesse...). L'ambiguïté n'est-elle pas alors source de la richesse du sens, dont l'interprétation n'est jamais achevée.
Mais l'ambiguïté du langage n'a-t-elle pas aussi un côté plus sournois? Ce que montre le dernier livre de Philippe Delerm "Et vous avez eu beau temps? L'intention est-elle réellement bienveillante face à une personne pâle, qui a passé ses vacances sous la pluie? Certaines phrases apparemment anodines peuvent cacher de l'ironie, de l'hypocrisie, voire une certaine manipulation.    C'est "la perfidie ordinaire des petites phrases" selon l'expression de Ph. Delerm. "Je peux vous comprendre", "je vais vous laisser" sont des exemples du positionnement ambigu de la personne qui les prononce: réelle empathie ou mise à distance plus ou moins sympathique...?
Le ressenti, l'intonation, la mimique interviennent dans le langage oral et peuvent même en changer le sens (ex. la phrase devient interrogative, exclamative, douce ou agressive...). Il arrive que ces indices disent plus que les mots. D'où la volonté de développer des langages informatiques plus complexes, tenant compte des intentions de l'émetteur et du récepteur. Car on ne s'adresse pas de la même façon à des personnes différentes, selon leur milieu social, leur culture. Exemple du tutoiement et du vouvoiement à partir d'un film: une personne suit un traitement pour améliorer son QI. Le médecin la tutoie d'abord, puis la vouvoie au fur et à mesure qu'elle progresse. Mais lorsqu'elle retombe dans sa déficience, le médecin à nouveau la tutoie.
Le niveau de langage apparaît même plus important que le sens: tutoyer quelqu'un qu'on ne connaît pas peut être vulgaire, méprisant.
Les mots issus du latin correspondent en anglais à un haut niveau de culture. "Le bourgeois gentilhomme" cherche à s'adapter à un type de langage digne de son rang. Notre époque utilise des acronymes pour ne pas appeler un chat un chat. Ex. les techniciennes de surface remplacent les femmes de ménage; mieux vaut être coursier, gardien d'immeuble plutôt que livreur ou concierge. Dévalorisation ou valorisation sociale de certains métiers? ( Molière a été enterré de nuit alors que les acteurs sont maintenant portés aux nues). Malvoyants, personnes de petite taille, à mobilité réduite, en situation de handicap...étaient-ils gênés par les appellations précédentes ? Changer les mots change-t-il la réalité? Refus de voir cette réalité, idéologie "totalitaire", ou évolution des relations entre les personnes, évolution des métiers exigeant plus de formation technique, hypocrisie? La question essentielle est davantage l'intention bienveillante de ces initiatives: face à la bienveillance tout le monde est gagnant tandis que la malveillance génère des perdants.

Car le langage impose un conditionnement sans le dire. Exemple d'un reportage en Allemagne sur des dissidents politiques qui voulaient créer leur propre État, qualifiés par les journalistes de "conspirationnistes", fermant alors toute question, car le propre de la conspiration est d'enlever la réflexion au profit de la manipulation. Discrédités avant même d'avoir pu s'exprimer, ces dissidents étaient donc privés de débat, au nom d'une "morale" implicite.
Schopenhauer écrivait sur l'art d'avoir toujours raison, ce qui était le propre des "sophistes" grecs par exemple, maîtrisant le langage et sachant persuader leurs auditoires par des raisonnements qui n'étaient qu'en apparence corrects; le glissement de sens pour un même mot pouvait notamment être utilisé. D'où l'intérêt d'avoir un esprit critique pour les auditeurs.
Les codes sont faits pour déterminer un type de comportement; ex. avoir un langage positif etc. impose en entreprise un état d'esprit, non dit. L'ambiguïté et la manipulation par la crainte permettent à des employeurs de garder le pouvoir. Exemple: "Il fait des efforts pour respecter sa hiérarchie" est différent de :" Il est respectueux avec sa hiérarchie". Il est difficile parfois de déchiffrer les codes. Que signifie, autre exemple, ces trois phrases: "tu sais ce qu'il serait bon de faire", "tu sais bien ce que, dans ma position, je devrais faire", "vous devez faire ce que la situation exige". Expressions qualifiées d' "assassines" par leurs sous-entendus et leur ambiguïté.
De même, le langage politique joue-t-il de l'ambiguïté, cherchant à se faire respecter ("je vous ai compris", adressé par le général de Gaulle aux algériens, et aux français).
Toutefois ces codes sont-ils ambigus? L'ambiguïté cesse en effet lorsqu'on maîtrise les codes. En est-il de même pour les règles imposées par la société, voire l'éducation et l'exercice de l'autorité?
Faire des compétitions sportives par ex. n'impose-t-il pas à l'enfant de suivre des règles afin de se plier ensuite aux règles de la société?
Ambiguïté de la "discipline": condition de l'épanouissement de l'enfant, plaisir, canalisation de la violence ( Pierre de Coubertin: il est important de participer, selon les règles du sport ), ou conditionnement du futur adulte, devenu docile? Pourquoi ne pas privilégier davantage les jeux coopératifs, meilleur apprentissage de la vie en société, plutôt que les jeux de compétition?

L'ambiguïté du langage agit aussi comme un vernis, masquant la violence, y compris dans le langage sportif, et celui des supporters (rôle de catharsis). L'usage du double sens n'est pas nécessairement malveillant (ex. : "l'équipe de Saint-Lô a bien joué" ne dit pas si elle a perdu mais la valorise). La vie sociale exige de ne pas toujours exprimer ce qu'on pense des autres, voire de ne plus penser à ce qui est source de conflit, de colère, de jalousie...( voir le film "La jalouse", où le personnage joué par Karine Viard -une mère -cesse d'utiliser un langage ambigu pour dire réellement ce qu' elle pense.) Un certain type d'éducation parlait aux enfants d' "immoralité" là où il était question de sexualité; François d'Assise "faisait la fête"avant sa conversion.
L'ambiguïté a alors pour rôle de protéger, de sauvegarder des relations sociales que la clarté des propos rendraient invivables. Façon aussi de fuir le débat, de ne même plus vouloir parler avec l'autre? Lui faire comprendre qu'il ne vaut rien? ( Ex. des querelles de couples, comportant des ambiguïtés parfois grossières: " il n'y a pas que les poubelles qu'il faut sortir..."). Inversement,  l'ambiguïté peut flatter des personnes (ex. titre de guide-conférencier), augmenter l'audience des médias (télé réalité), en recherche de "sensationnel", fabriquer des titres accrocheurs dans la presse. Mais l'ambiguïté permet aussi de défier les codes, ex. diffuser des propos racistes sur Internet en parlant d'"arbres" et de "noix", au lieu d'arabes et de noirs. Le contexte aide alors à lever l'ambiguïté.Sorties de leur contexte, beaucoup de phrases changent de sens ou perdent leur sens. Ex. "Jésus Christ a été couronné roi des juifs"; ou à propos de la critique d'un film: "c'est un monument"... de bêtise.

Le langage devrait-il tendre à l'objectivité? C'est difficile puisque les mots ne prennent leur sens que grâce au contexte ( en anglais, un même mot peut être un nom, un verbe...il n'y a pas de singulier, de pluriel etc. ex. nurse). D'ailleurs, y a-t-il une pensée universelle qui pourrait se traduire dans n'importe quel langage? Pourrait-on appréhender "la" vérité? La subjectivité transparaît invitablement dans le langage ( vécu, culture, langue utilisée, intentions...). Ex. du livre récent "Trumperie", où il est dit que D.Trump considère toujours que ce qu'il dit est la vérité au moment où il le dit. L'intention de l'émetteur correspond-elle à la réception de l'auditeur? La question pourrait s'étendre à celle du discernement des troubles mentaux.
La pensée est issue d'une culture, façonnée par le langage : on pense différemment en français et en anglais, en japonais etc. Cf le livre "La poésie du gérondif ". Chaque langue est inventive, d'où la difficulté de l'interprétation et de la traduction. Ce qui est "figuré" dans une langue, ne l'est pas nécessairement dans une autre. Ex. du film "L'honneur du capitaine", qui ordonne à propos d'un prisonnier situé en haut d'une montagne: "descendez le." Cet ordre étant interprété au sens argotique, ce prisonnier a été tué.
Jouer sur l'ambiguïté des mots peut aussi prendre un sens comique ( ex. Raymond Devos).
Un ordinateur traduit-il correctement les langues? Des informaticiens essaient de développer des langages plus complexes, mais dans quelle intention est le récepteur? Le langage scientifique est créé pour qu'il ne puisse pas y avoir d'ambiguïté, même si une ambiguïté subsiste lorsque les maths refusent le principe du tiers exclu (il n'existe que deux valeurs de vérité : vrai ou faux). Selon la physique quantique, l'observateur créé l'état de ce qu'il observe, comme s'il y avait une relation de subjectivité entre la matière et l'observateur (dialogue Einstein, Bohr).
Un langage informatique binaire rend tout dialogue impossible: on ne répond que par oui ou par non. On ne discute pas avec un ordinateur; la discussion est inutile si tout le monde comprend la même chose. A moins que des interactions ne parviennent à créer une sorte de subjectivité...
Le recours à l'ambiguïté du langage est nécessaire à l'expression des sentiments, des émotions, indéfinissables,"indicibles". Le langage figuré, symbolique (un sens clair où il est dit que l'autre est caché), permet d'aller au-delà des mots, au-delà de leur sens figé, voire usé (usage). Le sens des mots évolue ; ex. du mot "serein" qui ne s'applique plus à la soirée, comme au 18 ième siecle, mais se référe au calme, au repos. Le mot "ordinateur" était réservé à Dieu. Les artistes, s'ils commencent souvent en "copiant" leurs prédécesseurs, donnent ensuite un sens neuf, ambigu aux mots. Ex." Le bateau ivre", comportant de multiples interprétations possibles. L'ambiguïté est nécessaire pour donner à penser.
Moins il y a de diversité, moins il y a d'ambiguïté, y compris en informatique. L'émotion est au-delà des mots, mais créer un mot n'engendre-t-il pas une émotion? Comment traduire au-delà des mots, rendre compte de l'ambiguïté? (Kipling : "tu seras un homme mon fils".) Rôle du "ressenti"du traducteur? Et comment comprendre le langage d'une autre époque? Ex. des films "Nicolas Le Floch": maintenir le langage du 18 ième siècle, mais compréhensible toutefois au 21ème? Qu'en est-il des anachronismes? Parler par ex. d'une "fleur du Pérou" à une époque où le Pérou était inconnu ("Au nom de la rose", U. Ecco )...
Le langage porte les traces d'une époque, d'un lieu, d'une culture, d'une histoire etc.; le langage parlé introduit les gestes, les mimiques, les intonations, l'accent lié aussi à la génétique...
L'ambiguïté est parfois source de confusion, d' incompréhension, de malentendu, de manipulation ou de conditionnement. Mais l'ambiguïté est aussi la source de la créativité du langage qui peut dire une infinité de choses avec un nombre de signes limité, façonnant et exprimant la multiplicité des sens possibles, des intentions, des cultures, des pensées...