Voici les compte-rendus de nos réflexions communes. Petit rappel de courtoisie : vous pouvez les utiliser à condition de citer la source, c'est-à-dire : café philosophie à Saint-Lô, cafephilo-saintlo.jimdo.com

Merci !

Café du 16.12.15 : le bonheur

Télécharger
version à imprimer
café20151216.pdf
Document Adobe Acrobat 40.9 KB

Plusieurs problématiques apparaissent :

Peut-on parler du bonheur dans la durée, malgré les circonstances extérieures? Il y a des "moments de bonheur", comme par exemple la contemplation de la nature, d'une fleur. On peut être "heureux de penser" comme en témoigne une participante aux cafés philo. Ne s'agit-il que de moments passagers et fugitifs ou plutôt d'une disposition d'esprit qui tend à se satisfaire de l'accomplissement de nos aspirations et désirs les plus profonds? Car le bonheur n'est pas seulement un état de fait; il comporte un jugement de valeur qui lui donne une dimension éthique. En ce sens le bonheur se distingue du "plaisir" considéré comme satisfaction passagère et partielle de notre sensibilité; il est possible de rester heureux malgré quelques déplaisirs ou de "se faire plaisir" tout en étant malheureux. Le bonheur comporte l'idée d'un accord avec soi-même, d'une harmonie. La société de consommation ne rend pas heureux car elle crée une insatisfaction visant à ne jamais se contenter de ce qu'on a, créé sans cesse de nouveaux besoins. Elle est paradoxalement à l'inverse de la philosophie d'Epicure fondée sur la recherche du plaisir (hédonisme). Epicure, en effet, ne recherche finalement que les plaisirs "naturels et nécessaires", fondés sur la nature humaine (manger du pain, boire de l'eau, dormir sur une planche, avoir quelques amis...) car les plaisirs superflus ou artificiels créént en réalité plus de déceptions que de satisfactions, nous rendent esclaves de biens extérieurs à nous-mêmes. Le philosophe grec cherche ainsi à atteindre l' "ataraxie", c'est-à - dire la tranquillité de l'âme, l'absence de troubles, d'agitation. Le plaisir est alors défini de façon négative, comme une absence.
A la différence de cette recherche du plaisir, l'eudémonisme fait de la recherche du bonheur, individuel ou collectif, la finalité de l'action humaine, le but de la vie. "Eu" en grec signifie "bon", "heureux" ( eu-thanasie = bonne mort, mort heureuse). "Démon" signifie la destinée individuelle. La notion même de "bon-heur" comporte étymologiquement l'idée d'une chance favorable, de bon augure (voir l'expression "au petit bonheur la chance"). Le terme allemand "Gluck" désigne à la fois la chance et le bonheur. Mais une vie heureuse est stable, relève de la volonté humaine au lieu d'être ballottée par les circonstances extérieures. Savoir utiliser notre raison, savoir saisir la chance, le moment présent, dépend de nous. Bien que soumis à "ce qui ne dépend pas de nous", ce que les stoïciens appellent le" destin", l'enchaînement nécessaire des causes et des effets, nous devons rester maîtres de nous-mêmes et considèrer finalement que "tout ce qui arrive" (par exemple une tempête, la maladie, la mort...), sont bons pour nous puisque conformes à l'ordre des choses. Déterminés, nous sommes en même temps libres de vouloir consentir ou non à cette détermination. La refuser rend malheureux puisque nous ne voulons pas "ce qui arrive", mais ne peut pas pourtant ne pas arriver. L'accepter rend heureux puisque nous sommes en accord avec "ce qui arrive". Le stoïcisme veut, grâce à la maîtrise de soi fondée sur l'exercice de la raison, "faire basculer le malheur en bonheur de l'avoir surmonté". Les craintes ou les regrets viennent de ce qu'on se projette dans l'avenir ou dans le passé, alors que le bonheur exige de "saisir l'instant présent", de vivre chaque instant comme s'il devait être le dernier. C'est le sens aussi du "carpe diem", qui saisit l'ici et le maintenant.
"L'éternel retour" de Nietzsche signifie également cette affirmation de la vie telle que nous la vivons, sans ressentiment et sans tentation de se refugier dans des "arrières-mondes" religieux ou idéologiques.

Le bonheur ne semble donc pas être inné, même lorsqu'il s' agit d'un "heureux caractère" puisqu'il relève de la libre volonté de chacun, d'un esprit disposé à se mettre en accord avec soi-même et avec les circonstances extérieures. Il suppose un apprentissage. Il faut apprendre à être heureux. Apprendre à apprécier par exemple les "petits bonheurs", l'adjectif "petits" n'enlevant rien à leur qualité ni à leur profondeur car ils émanent de notre disposition à être heureux.

 

Nos habitudes peuvent nous empêcher de goûter au bonheur simple; il faut donc sans cesse apprendre et désapprendre comme le prône par exemple le bouddhisme: bien que l'homme soit fondamentalement bon, une réflexion et un travail sur soi sont nécessaires pour se rapprocher du bonheur en supprimant au maximum le désir, la haine et l'ignorance. D'où le lien entre le bonheur et la méditation au sens d'une prise de conscience de son corps, de son unité avec le reste du monde.
Le christianisme est présenté comme une religion de la souffrance, du péché qui se transmet de génération en génération depuis le péché originel, rendant mauvaise la nature humaine qu' il faudrait redresser. D'où la menace du jugement qui envoie en enfer ou permet enfin d'accéder au bonheur éternel qu'est le paradis. Or le christianisme apparaît aussi comme une annonce sur terre du bonheur et de la joie: "je vous laisse ma joie" déclare le Christ, qui a auparavant énoncé les "Béatitudes" au début du Sermon sur la montagne, toutes commençant par le terme "heureux". " Heureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous. Les "saints" sont dits " bienheureux" parce qu'ils se sont réconciliés avec Dieu, avec les autres, avec la nature. Le mal ne vient pas de Dieu mais de la liberté humaine qui veut prendre la place de Dieu, décider seule du bien et du mal, au risque de la mort et de la destruction. C'est le sens du péché originel qui se coupe de Dieu et de la création en mangeant le fruit défendu, celui de l 'arbre de la connaissance du bien et du mal. Dieu à la fin de sa création avait pourtant vu "que tout ce qu'il avait fait était bon". L'homme ne naît pas pour mourir mais pour vivre, n'est pas destiné au malheur mais au bonheur "éternel" s'il ne se coupe pas lui même de la source de la vie. Penser que la souffrance et la mort n'auront pas le dernier mot, aide à les supporter et fonde l'espérance, qui donne sens à la vie: la destruction et la haine seront vaincues par l'amour de la création, des autres, de Dieu. Mais l'espérance ou l'espoir ne sont pas l'exclusivité de la religion.

Ne peut-il y avoir un bonheur "matérialiste", non pas fondé pourtant sur la société de consommation?
La vie n'a pas de sens, affirme Sartre, qui nie tout créateur, tout destin, tout au-delà... Nous sommes nés de la rencontre fortuite d'un homme et d'une femme, nous pourrions aussi bien ne pas être là. Mais justement parce que notre vie n' a pas de sens, nous avons l'entière liberté de choisir le sens de notre existence grâce à notre conscience. Ce choix peut-il nous rendre heureux? C'est difficile car ce choix est sans cesse confronté à celui des autres qui empiètent sur notre liberté. "L'enfer , c'est les autres" affirme Sartre dans la pièce "Huis clos". Condamnés à vivre avec les autres et même à être "reconnus" par eux pour exister, nous sommes toujours "l'objet" de leur regard, qui nous juge, nous colle des "étiquettes", nous fait "être" ce que nous ne sommes pas. Les consciences ne peuvent pas communiquer réellement entr'elles et leurs relations comportent nécessairement une part de destruction.
Le bonheur est -il compatible avec le conflit et la haine ? Peut-on être heureux en pensant que nous sommes la proie de notre finitude, de nos imperfections, de notre souffrance et de notre mort sans "dépassement" possible? Comment vaincre cette "angoisse existentielle? Grâce peut-être au "divertissement", disait Pascal, qui nous empêche d'y penser. "Je n'ai pas peur de la mort, mais le jour où elle passera, je préfère être absent". Woody Allen.

 

N' y-a-t-il pas pourtant un lien entre les valeurs morales et le bonheur. Ne sommes nous pas plus heureux si nous faisons le bien, si nous aidons les autres, respectons la nature, sommes solidaires etc? Mais il y a aussi une satisfaction à faire le mal, à nuire, à détruire. A côté des pulsions de vie coexistent les pulsions de mort, , explique Freud. Un" sadique" peut être heureux.
L'opinion commune situe malgré tout souvent le bonheur dans l' amour, la naissance des enfants, la fondation d'une famille... Ce bonheur ne favorise-t-il pas d'ailleurs, le "vivre ensemble"? Le bonheur ne doit pas être confondu alors avec le bien-être ni avec le confort. La société est faite pour assurer la sécurité dans un environnement hostile, et non pas pour proposer le bonheur. A chacun de "s' autoriser à être heureux". Soeur Emmanuelle disait avoir trouvé, dans les bidonvilles du Caire, des gens plus heureux parfois que dans nos sociétés occidentales.
Se contenter d'un conformisme "grégaire", ou de la simple satisfaction des besoins vitaux, rend -il l'homme heureux? L' exemple a été pris de "la chèvre de M.Seguin", qui, luttant pour sa liberté , meurt à une étape pour ressusciter à une autre (elle meurt au lever du jour). Se libérer de notre société, se déconditionner des préjugés culturels et religieux, se libérer même d'une définition du bonheur, apparaît comme une condition du bonheur. Bonheur lié alors à la notion d'effort, excluant la "tiédeur" comme absence de maîtrise de sa propre vie, laisser-aller.

La question avait été posée dès le début de la discussion: a-t-on le droit d'être heureux face au malheur et à la souffrance des autres, à l'injustice, au dénuement etc.? Mais être heureux n'aggrave pas le malheur des autres , ne les "enfonce" pas. L'extension du bonheur à un plus grand nombre créé , au contraire, une sorte de "vibrations" positives qui aident les autres. Aussi bien, a-t-on le droit d'être malheureux? Ces deux états existent et ne sont pas totalement indépendants de notre volonté. Nous pouvons changer notre conception du bonheur.

Les drogues peuvent - elles conduire au bonheur? Elles sont plutôt considérées, dans nos sociétés occidentales, davantage comme une fuite, un échappatoire, donc un échec. Des sociétés plus ritualisées, plus encadrées (danses, musiques, transe) leur donnent un sens positif d'accès à une autre réalité.

Tous les hommes cherchent le bonheur, affirme Pascal. Ils cherchent sans cesse ce qui peut les rendre heureux tout en ne sachant pas ce qu'est le bonheur ."Nous disposant toujours à être heureux , il est inévitable que nous ne le soyons jamais ". Le bonheur ne se situe-t-il pas dans une plénitude, une paix intérieure, une sérénité, non pas enfermée dans une conception fermée ni une certitude mais libre, ouverte sur ce qui va se découvrir?

 

Café du 02.12.15 : l'intelligence

Télécharger
version à imprimer
café20151202.pdf
Document Adobe Acrobat 38.5 KB

De quelle intelligence parle-t-on?
Eviter de caller l'intelligence sur la scolarité et de survaloriser les diplômes car l'intelligence doit être distinguée de l'instruction. Un intellectuel, un philosophe engagé, peut ne pas être intelligent s'il manque de recul et de discernement dans ses interventions, par exemple au niveau diplomatique ou politique. Mais peut-être ne s'agit-il pas d'un manque d'intelligence mais plutôt d'un calcul d'intérêt, ce qui est une autre forme d'intelligence.
Qu'en est-il d'un point de vue moral? L'intelligence n'est pas nécessairement au service du bien. Il faut en faire preuve aussi pour servir les pires causes, comme en témoignent par exemple Hitler et les nazis souvent très "cultivés", mais peut-être en recherche d' une "reconnaissance". L' intelligence n'est-elle alors qu'un moyen neutre? Pourtant un scientifique, par exemple, peut devenir réticent à faire souffrir des animaux dans son laboratoire fût-ce pour les besoins de sa recherche.
N'intervient-il pas alors la notion de "bon sens"? Notion liée à celle de "raison", comme faculté de discerner le vrai du faux, le bien du mal. Tout homme est doué de bon sens, affirme Descartes, c'est la chose la mieux repartie. Ainsi parle-t-on du "bon sens populaire", du "bon sens paysan". "Intellectuel" et "intelligent" sont deux mots de même racine. Ce qui ne dispense pas l'intellectuel de réfléchir aux fins pour lesquelles il fait fonctionner son intelligence. Parmi ces finalités peut apparaître le respect de la vie, qui apparaît aussi dans l'instinct animal: les animaux, en effet, ne tuent que pour assurer leur propre survie; leur instinct est lui-même déterminé par la nature, qu'il ne mettent donc pas en danger.

Les animaux sont doués d'intelligence, étudiée par la "psychologie animale". Il s'agit de la capacité d'adaptation à des situations nouvelles. Par exemple, un corbeau peut faire tomber une noix pour la casser, un singe sait empiler le nombre voulu de caisses pour attraper une banane, utiliser un bâton pour faire tomber quelque chose, enlever le papier d'un bonbon... Les animaux sont capables d'agir par imitation, sont doués aussi de mémoire et créent des liens entre les choses. Mais leur degré d'intelligence varie selon les espèces: la poule, incapable de contourner un morceau de grillage pour attraper du grain, par exemple, est considérée comme la moins intelligente des vertébrés. Et les animaux les plus intelligents se heurtent à des limites. Les singes, capables d'utiliser des idéogrammes pour construire un message, n'assemblent pas pourtant des signes arbitraires. Les animaux utilisent un langage pour communiquer des informations nécessaires à leur survie. Ce langage pourtant se limite à désigner des situations concrètes et n'accède pas au niveau de l'abstraction: l'expérience a montré, par exemple, qu'un animal ne peut pas trouver un objet déposé à chaque fois dans "la boite suivante" alors qu'un enfant y parvient assez tôt. Car il s'agit là de la construction d'une idée, de la reproduction d'un schéma qui sera verbalisé grâce au langage symbolique, abstrait. Victor, l'enfant sauvage de Malson, finit par accéder à ce langage lorsqu'il prononça le signe"lait"pour se faire comprendre au lieu d'aller montrer du lait à la cuisine. Il lui avait fallu un long apprentissage avant d' accéder à ce "concept" c'est-à-dire à l'idée générale et abstraite de "lait". L 'animal ne conceptualise pas et donc ne pense pas. L 'intelligence humaine au contraire résout des problèmes par la pensée, surmonte des difficultés. Elle est capable à la fois d'analyse et de synthèse:
L'analyse est la décomposition mentale qui permettra d'accéder à une explication, de l'extérieur.
La synthèse est la recomposition, qui débouche davantage sur une compréhension, de l'intérieur.
En histoire par exemple, on peut établir les dates, les causes, les conséquences des événements...
mais on cherche aussi à comprendre une époque en retrouvant sa façon de penser, ses préoccupations, sa sensibilité, en essayant de la faire "revivre"de l'intérieur. On aura alors "l'intelligence" de cette époque comme on peut avoir l' intelligence d'un texte, d' un sport... L'intelligence présente plusieurs types: soit concrète ou pratique, technicienne, soit plus politique, sociale (permettant de diriger des groupes), soit abstraite et conceptuelle, établissant des rapports entre les idées, combinant des éléments. Telle est par exemple l'intelligence mathématique.

 

 

Cette intelligence est-elle un don de naissance? Ou dépend-elle exclusivement de l'éducation, du milieu social etc. Il est très difficile de discerner ce qui est inné et ce qui est acquis dans ce domaine. La discussion reste ouverte. Mais ce qui est sûr, c'est que même un don exige d'être développé, cultivé, pour s'épanouir. "C'est Mozart qu'on assassine", renvoie à toute absence de moyens d'éducation, notamment pour les enfants. Que serait devenu Mozart sans apprentissage musical, sans le piano de son enfance?
Il existe aussi une "intelligence du coeur" qui serait indispensable au développement intellectuel. Car la faculté de comprendre supposerait une sécurité affective, une harmonie avec nos propres émotions, émotions, affects, conflits étant eux mêmes "intellectualisés".
Sans motivation d'ordre affectif, d'ailleurs, ni l'intelligence, ni le raisonnement ne trouverait de raison de s'exercer. L'éducation doit donc comporter aussi une réflexion sur ces valeurs, jusqu'au principe du respect de la vie, des"raisons" de vivre ou de mourir. L 'éducation nationale en France ne néglige-t-elle pas cette dimension? Certains professeurs ne "comprennent" pas l'intelligence de leurs élèves lorsqu'elle n'est pas assez conforme à ce que demande le système. Des failles, des décalages (c'est le cas des surdoués par exemple) exigeraient un autre type d'adaptation. L'exemple est pris de l'école Montessori plus ouverte, moins "formatée" car elle ne vise pas une éducation de masse, basée sur l'évolution générale de l'enfant, mais prône une éducation plus différenciée. Summerhill cherche à d'abord évacuer l'agressivité, issue d'une école répressive, pour que les élèves retrouvent la curiosité nécessaire à un véritable apprentissage du savoir. Il faut aimer apprendre pour apprendre aussi à penser, à créer des liens nouveaux .
L'apprentissage scolaire des mathématiques (savoir résoudre des équations, par exemple, obtenir une bonne note au devoir), n'est-il pas très loin de la véritable demarche scientifique? L' intelligence scolaire ne représente donc qu' une forme d'intelligence.
Faculté d'adaptation, mais aussi imagination et créativité caractérisent l'intelligence. Elles apparaissent par exemple dans les découvertes scientifiques, qui supposent en même temps une intuition comme sorte de "vision" directe d'une réalité. Vision apparue à la suite de raisonnements, de réflexion, mais aussi d'une "inspiration" nécessaire à l'élaboration d'une nouvelle théorie (exemple d' Einstein).
La méditation, la démarche de "pleine conscience" de son corps, en augmentant les capacités de concentration, permettent aussi d 'ouvrir l'intelligence à d'autres réalités.
Diverses logiques aboutissent donc à diverses formes de compréhension. Mais y a-t-il un principe d' intelligibilité universelle, tout peut-il être compris ou pourra-t-il l'être? "Ce qui est incompréhensible, disait Einstein, c'est que le monde soit compréhensible". Pourquoi l 'intelligence humaine est-elle capable de comprendre l'univers, au moins partiellement, de se "situer" dans son immensité? Cette question la dépasse même si elle se la pose.

Les tests psychologiques mesurent non pas l'intelligence mais des capacités, selon différents secteurs cognitifs, des formes d'intelligence, de mémoire, la capacité d'établir des liens plus ou moins vite etc.( le QI par exemple s'établit selon une moyenne des résultats obtenus dans une tranche d'âge). Ne peut-on être "bloqué" par ces tests, ce qui les rendrait inopérants ? Il s'agit là d'une question plus "technique" qui concerne la psychologie en tant que science.

Toutefois, notre intelligence n'est-elle pas formatée par notre éducation, par notre forme de société, nos sources d'informations, plus éloignées des rytmes de la nature? La faculté de coordination rapide est-elle bien un critère d'intelligence? Un exemple: des instruments médicaux ne répondant plus aux normes sont envoyés dans d'autres continents. L'expérience montre que leur utilisation est alors différente, et apporte de nouveaux éléments qui n'avaient pas été considérés par notre forme d'esprit. L 'intelligence n'est-elle pas aussi de changer de point de vue, de se décentrer de ce que nous avons appris?
Rêver, s'ennuyer, aide au développement de l'intelligence car cette période de latence permet au cerveau d'élaborer des processus, des réflexions.

 

 

Les machines sont-elles plus intelligentes que les humains? Plus réalistes, moins imaginatives, elles réagissent à de multiples données (exemple du "frigo intelligent" qui établit la liste des courses manquantes). La machine est alors dite intelligente parce qu'elle est personnalisée. Mais peut-on qualifier d'intelligent tout ce qui est connecté?
Existe-t-il bien une intelligence artificielle? Ne s'agit-il pas plutôt d' une "tromperie", issue du fait que nous établissons une relation avec une machine que nous avons nous-mêmes programmée et à qui nous attribuons cette capacité en instaurant une relation avec elle? C'est en fait avec nous-mêmes que nous instaurons cette relation. La machine, de plus en plus performante et rapide, n'invente pourtant pas de nouveaux algorithmes, suit toujours la même logique, dénuée d ' affectivité et de conscience. Le robot est une pale copie de l'humain et s'il peut paraître convivial, sa rigidité ne lui permet pas d'être véritablement interactif ni d'aider une personne en difficulté. Il est une simple extension de l'humain et n'a pas de relation particulière. C'est pourquoi d'ailleurs des machines peuvent être moins intimidantes : face à elles, nous ne nous sentons pas jugés par le regard de l'autre. Peuvent-elles pour autant remplacer les psychologues par exemple? Sans doute pas vraiment.
Car l ' homme a besoin du regard de l'autre pour se sentir exister. Il se pense en fonction de ce qu'il pense que l'autre pense de lui. La pensée et l'intelligence sont donc mêlées d'émotions, créant une dynamique engendrant de nouvelles actions et de nouvelles pensées...

La sagesse supposerait ce mouvement mais aussi la solitude comme éloignement pour prendre du recul, développer une autre forme d'intelligence, faire l'expérience d'être seul face à soi-même. La vie humaine n'étant pas toujours positive (déceptions, désillusions), il faudrait se retirer un temps, parfois, avant de revenir aider les autres. Exemple du Père de Foucauld qui se retire pour méditer dans le désert. Cette solitude, toutefois, n'exclut pas les relations, avec Dieu , avec la nature, avec les autres par la prière...
L 'intelligence suprême n'est-elle pas finalement de se connaître soi-même? Ce qui permet de véritables liens avec les autres, avec "ce qui n'est pas nous". Le pire étant de se sentir seul, au contraire, au milieu des autres.

N'existe-t-il pas aussi une intelligence collective? La démocratie n'en est-elle pas une forme?
On constate une simultanéité autour de la planète. Les hommes en sont tous au même niveau d'évolution: Christophe Colomb n'a pas rencontré d' homme de Neandertal. Certains aborigènes le sont parce qu'ils ont choisi de le rester. Ils vivent, en effet, en respect et harmonie avec la nature et n'ont pas besoin de développer un autre mode de vie. Vivant "en intelligence" avec la nature, ils s'en remettent à elle dans une complicité commune, privilégiant l'intériorité.
Au contraire, notre mode de vie a favorisé le développement de la technicité, engendrant une relation plus extérieure au monde qu'il s'agit de dominer, de maitriser. Ce qui paradoxalement nous a rendu plus dépendant des choses qu'on a créées.
Ces deux boucles, ces deux formes d'intelligence créent un vaste réservoir d' idées auquel nous serions connectés, une "noosphère", sorte d'intelligence collective à laquelle nous serions reliés.
L'intelligence a été mise en lien avec la lumière puisqu'elle nous permet d'être "éclairés". N'est-ce pas ce même éclairage qui nous permet d'en voir aussi les limites? "Le comble de l'intelligence n'est-il pas de comprendre pourquoi nous sommes idiots?"

 

Café du 18.11.15 : la religion

Télécharger
version à imprimer
café20151118.pdf
Document Adobe Acrobat 46.4 KB

Religio en latin signifie: l'exactitude à remplir ses devoirs, le scrupule, la crainte au sens de respect de ce qui nous dépasse, le sentiment religieux.
Religo signifie: lier, attacher, relier. Un lien vertical est nécessaire pour soutenir le lien horizontal qui rapproche et unit les hommes. En témoignent par exemple le village construit autour du clocher de l'église,  ou le symbole de la croix, dont le montant vertical supporte la poutre horizontale. Nous ne sommes tous frères que si nous sommes reliés à un même Père.
Trois grandes religions monothéistes: le judaïsme, le christianisme et l'islam. Le bouddhisme, religion sans dieu, est parfois aussi considéré comme une philosophie. Ces religions se distinguent des religions païennes, grecque ou romaine par exemple, qui divinisent les éléments de la nature, et de l'animisme, croyant aux forces qui animent cette nature. Si la nature n'est pas divinisée, il devient possible à l 'homme de l 'observer, de la transformer, et de participer ainsi au travail de la création. D'où un plus grand développement des techniques et des sciences.

La religion est-elle nécessaire pour instaurer la paix? N'est-elle pas plutôt à l'origine de multiples guerres?
L'empereur Constantin, chrétien, arrête les persécutions et s'appuie sur la religion chrétienne, qui avait pris de l'ampleur, pour stabiliser l'empire. La religion, imposée, est ainsi utilisée à des fins politiques pour instaurer la paix, au détriment de la liberté de conscience, désormais interdite. Les raisons sont alors politiques et non plus religieuses.
Le christianisme, pourtant, sépare bien le domaine de la religion et celui de la politique: " Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu" dit le Christ. Si l'impôt doit être payé à César, aucun culte toutefois ne doit lui être rendu, ce qui, déjà, justifie la laïcité de l'Etat.
Quelques Sourates du Coran incitent à la guerre tandis que d'autres prônent la paix: là encore ne s'agit-il pas de "récupération" politique, selon les periodes historiques traversées?
Comme toute loi, la loi religieuse est transgressée. L'exemple a été pris du pape François cherchant à rectifier les abus de la Curie et à la réformer, tout en pratiquant une ouverture vers ceux qui se sont éloignés de la religion, voire en ont été exclus, ou s'en sont sentis exclus. Car le principe de la religion chrétienne n 'est pas le jugement mais la "miséricorde, fondée sur l'amour de Dieu et l'amour du prochain.

Mais a-t-on vraiment besoin d'une religion et pourquoi? A quoi sert-elle? N'est-elle pas, en fait, la loi du père, Dieu n'étant qu'une idéalisation du père, comme l'a expliqué Freud? Dans ce cas la morale qui en découle n'est autre, comme toute morale, que l'intériorisation des interdits parentaux eux-mêmes issus de l'éducation et donc de la société.
Il faut un capitaine sur le bateau, dit-on. La religion pourrait assurer ce rôle mais elle constitue un danger si elle devient violente car son but est de socialiser les hommes pour qu'ils vivent ensemble, de dompter l'humain en lui proposant une visée qui donne sens à sa vie. Sans quoi il peut devenir une bête féroce. Chacun n 'a-t-il pas en soi cette part d'animalité? N'est-ce pas cette part, d'ailleurs, qui utilise la religion à des fins qui n'ont plus rien de religieux?
Dès le début de la vie en société apparaît le culte des ancêtres, l'idée de se regrouper autour des sépultures afin de pouvoir venir s'y recueillir, d'où l 'organisation des villages. Le culte est donc lié à la culture, comme le souligne leur étymologie commune. "Quelque chose" subsiste après la mort d'un homme dont le corps donc ne devient pas un simple "déchet". La barbarie intervient précisément quand le corps n'a plus d'importance, quand tout idée de sacré a disparu.
Doit-on dire alors que les hommes deviennent des bête féroces? Leur comportement n'est -il pas d'ailleurs, pire que celui des animaux? Ce jugement apparaît trop violent et assure une bonne conscience trop facile puisque tout homme a en lui aussi une part d'ombre. Certes les faits sont condamnables mais il demeure toujours en chacun une part d'humanité qu 'il faut reconnaître pour justement ne pas céder à cette "barbarie".
Référence est faite aux récents attentats du 13 novembre: les terroristes ne se sont-ils pas radicalisés parce qu' ils n'ont pas été reconnus? Radicalisés c'est-à-dire qu'ils atteindraient une forme de fondamentalisme accompagné de violence. Accomplissent-t-ils ces actes violents suivis de leur propre mort dans un esprit de sacrifice et d'amour pour Allah? Ne s'agit-il pas plutôt d'une négation de la vie, de ressentiment contre la société, contre le "monde ici-bas" qu' il s'agit de nier au profit d'un"au-dela" supposé meilleur? C 'est cette conception de la religion que Nietzsche qualifie de nihiliste puisqu'elle nie la valeur de la vie terrestre . Mais s'agit-il bien en réalité de la religion authentique? N'est-ce pas plutôt une utilisation de la religion à des fins idéologiques ou politiques? Car la "vie éternelle" créée par Dieu ne commence pas après la mort, qui libérerait enfin l'homme du mal, de la souffrance et du péché. La mort comme libération de l'âme échappant enfin aux limites du corps est davantage une idée de la philosophie platonicienne. La vie humaine a,dés son origine, une empreinte divine qui lui donne une valeur et une dignité inaliénables. La mort n'est pas sa finalité mais est elle-même dépassée.Tuer au nom de Dieu ne relève pas de la religion mais de son utilisation à des fins qui lui sont étrangères. Lecture a été faite du communiqué publié par les terroristes au nom d'Allah, le miséricordieux. De quelle "miséricorde" s'agit-il? Dieu ne peut être réduit à l'usage qu'en fait un goupe social ni à la conception d'une époque.
La religion sert-elle à instaurer une logique de culpabilité, asservissante, dont il faudrait se libérer en agissant "par delà le bien et le mal" selon l'expression de Nietzsche? "Dieu est mort ", affirme Nietzsche, c'est-à-dire qu'il n'est plus crédible, que les hommes ne peuvent plus croire à ce qu'ils en ont fait. Une réflexion critique est en effet nécessaire sur ce que signifie cette notion de "Dieu" et peut-être est-elle trop négligée dans notre société?

La foi ne se discute pas, dit-on, on l'a ou on ne l'a pas. De même qu'on ne choisit pas d'avoir un corps ,on ne choisit pas d'avoir la foi. Elle est un don. La foi, pourtant, et les grand mystiques en témoignent, va de pair avec le doute. Elle est une quête plutôt qu'une certitude. Son contenu n'est pas démontrable puisqu'il échappe au domaine de la science, porte sur des réalités transcendantes.
S'il s'agit bien d'un don, encore faut -il le recevoir, le faire fructifier, le partager.
Cette quête personnelle ne s'impose-t-elle pas même si nous n'avons pas la foi? De quoi a-t-on besoin pour aller jusqu'au bout de sa vie? Et d'ailleurs la foi en quoi? Peut-on vivre en n'ayant foi en rien? Foi seulement en soi-même? Le manque total de foi apparaîtrait comme l'absence de toute espérance, le désespoir: à quoi bon vivre?
La foi est en fait une relation de confiance en une personne, en une parole. La foi en Dieu permet de s'en remettre totalement à Lui, ou d'essayer de le faire, malgré les réticences humaines. La prière, relation à Dieu, apporte un bien être, constitue une expérience particulière irréductible à un simple rituel qui serait plus ou moins obsessionnel. Il est certes difficile de faire confiance, mais cela dépend de nous.
La foi doit être distinguée de la croyance: contrairement au "croyant" l'athée "croit" que Dieu n'existe pas (a -théisme). Ils ont une réponse différente à la même question. L 'agnostique croit qu'aucune connaissance ne permet de se prononcer sur l'existence de Dieu ( gnose en grec signifie connaissance). Chacun, en principe, accepte que l'autre puisse croire ou ne pas croire.
Mais croire que Dieu existe n'implique pas nécessairement la religion, comme en témoignent par exemple les philosophes déistes, croyant en l'existence d'un "Être suprême", comme le "grand horloger " de Voltaire, créateur d'un univers qui n'aurait pas pu se fabriquer tout seul.
La croyance peut aussi être superstitieuse ( passer sous une échelle porte malheur, par exemple ). Or la religion s'oppose à la superstition car celle-ci invoque des puissances obscures étrangères à Dieu.
Allumer un cierge ne relève-t-il pas de la superstition? Tout dépend de l'intention du "croyant" et du symbolisme que revêt pour lui cet acte.

"L'absence de preuve n 'est pas la preuve de l 'absence". La foi relève de l'expérience individuelle, elle appartient, dit-on, au domaine"privé". Mais le culte n'est pas seulement individuel, il est social;  la foi suppose une transmission, un enseignement. D'où la tentation de sa "récupération" par la société à des fins non religieuses.
La foi apparaît comme une évidence, la conscience de "quelque chose" de supérieur. Elle porte aussi la capacité à faire l'unité de l' humain, la conscience de faire partie d' un tout (y compris les terroristes par exemple qui font partie de la part sombre de nous-mêmes).
C'est une notion universelle, celle de l'homme face à Dieu, ou face à lui-même dans une solitude permanente. La conscience n'est jamais seule lorsqu'elle est en unité avec ce qui l'entoure. "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme" mais la conscience sans science est plus difficile à aborder. Ne peut-on considérer le corps comme la plus belle mosquée qui abrite l'homme?
La "méditation" prend conscience du temps et de l'espace, du corps, du souffle, du bruit etc. au delà de la raison.
La religion ne naît-elle pas de cette unité de l'humain? Les rites des sociétés primitives retrouvent la matrice originelle. Qu'est-ce qui, d' ailleurs, en dehors de la religion, peut unir une communauté? Qu'est-ce qui peut nous relier?
Ne manque-t-il pas dans notre société une transcendance qui nous rassemble? La question a été posée à la suite des attentats (émission: "On n 'est pas couché "). Nos symboles républicains (le drapeau, la Marseillaise...) sont-ils suffisants pour fédérer un peuple?
La pyramide de Maslow situe au sommet, après le besoin de se nourrir et le besoin affectif, le
besoin de reconnaissance.
Ce besoin intervient-il dans le programme de l'Etat islamique? Pourquoi l'Afrique n'utilise -t-elle pas ces méthodes? Est-ce lié à la religion? L 'animisme aborde-t-il les choses et les idées d'un autre point de vue?
L'exemple est pris de l'entente entre chrétiens et musulmans dans la grande mosquée de Cordoue. La partie mosquée semble, toutefois, plus dépouillée, plus spirituelle, la religion occidentale apparaissant davantage liée aux richesses.
Quoi qu'il en soit, tout ce qui est humain a besoin d'un lieu de rassemblement. Chacun est libre d'interpréter les signes selon son cadre de réflexion, selon sa liberté. La religion ne remet pas en cause l'existence de Dieu ni ses dogmes. Mais elle n'est pas en opposition avec la raison, invitée au contraire à réfléchir sur la Révélation, les textes sacrés, porteurs de la Parole divine. La raison explique le contenu de la foi qui, à son tour, éclaire la raison et lui ouvre un nouvel horizon. Cette lumière de la raison est nécessaire à la religion qui risque, sans cette réflexion, de sombrer dans l'endoctrinement. Ce même éclairage s'avère nécessaire aussi dans d'autres formes d'endoctrinement, comme celui auquel risque de nous exposer les médias et l'exigence de réactivité immédiate.
La marche dans l'esprit du pèlerinage permet justement, par exemple, cette distanciation par rapport aux événements et favorise la réflexion ou la méditation. Elle nous relie à "quelque chose" qui nous dépasse.
L' individualisme qui règne dans notre société ne crée-t-il pas un manque?  Ce qu 'il y a de beau dans la religion ne doit pas être rejeté. Les dix commandements restent une base fondamentale de notre société. L'amour du prochain, l'altruisme, ne sont pas toujours religieux même si Dieu le Père assure dès l'origine de notre culture, l'égalité de chacun aux yeux de Dieu et la fraternité entre les hommes.
Cette "morale" d' ailleurs est-elle universelle? Qu'appelle-t-on le bien et le mal? L'inceste par exemple n'est-il pas admis dans d'autres cultures? La religion n'a-t-elle pas eu le tort de développer la culpabilité et d'entraver ainsi notre liberté et notre créativité? Par une aberration de l'histoire, explique Nietzsche, les forts ont triomphé des faibles grâce à cette notion de culpabilité; la faiblesse est devenue "vertu"et la force "péché". L'examen de conscience toutefois a aiguisé l'esprit qu' il faudrait maintenant allier avec la force.
Force non pas physique mais puissance d'affirmation de la vie, création de nouvelles valeurs, opposées à la dévalorisation de la vie, voire à sa destruction, qui constituent la "barbarie" de notre temps.

Vivre ensemble génère des conflits, qui sont surmontés par la désignation de" boucs émissaires", explique René Girard.

Le sacrifice du Christ se présente toutefois comme l'ultime sacrifice, faisant disparaître cette pratique dans les sociétés chrétiennes. Dieu ne veut pas de "sacrifice ni d'holocauste" mais un "esprit brisé" par la violence et l'injustice, par le mal qui n'est autre que le refus de Dieu afin d'être soi-même Dieu .

Ce refus d' appartenir à un monde qui nous "dépasse" et dont nous devons respecter la nature entraîne à abuser de ce dont nous devrions seulement disposer pour vivre. Ce devoir de ne pas détruire la "nature", les écosystèmes (dont nous faisons partie) est récent puisque les moyens techniques de le faire n'existaient pas avant 20ème siècle. Ce "devoir"est -il encore un moyen de culpabiliser les "masses", d'entraver la liberté, de canaliser les désirs, de limiter la population...? Il ne faudrait pas considèrer les choses selon l 'image verticale d'un arbre, mais davantage sur le modèle d'un rhizome.

Quoi qu'il en soit, la religion semble l'objet d'une quête perpétuelle. Pourquoi? Est-elle liée à la quête de nos origines et de notre devenir, dont la théorie de l'évolution, peut-être ne suffit pas à  rendre compte? Angoisse existentielle ou question vaine? Science et religion n'ont pas à s'exclure mutuellement, mais au contraire à dialoguer dans la recherche d'un choix, libre et éclairé, du sens que nous voulons donner à la vie humaine.

Café du 04.11.15 : science, technologie, éthique

Télécharger
version à imprimer
café20151104.pdf
Document Adobe Acrobat 39.2 KB

Référence au film Her, qui met en scène l'interaction entre l'intelligence artificielle, créée grâce aux nouvelles technologies et l'être humain: un homme est amoureux d'une voix féminine qui lui répond, prend vie et exprime même des sentiments et des émotions au fur et à mesure que leur "dialogue" se construit. Cette femme virtuelle était devenue presque humaine malgré la cruelle désillusion finale de cet homme. Mais justement, la virtualité ne fait-elle pas partie intégrante de la réalité?
N'est-ce pas le cas pour les réseaux sociaux actuels? La communication y apparaît à la fois réelle et virtuelle dans la mesure où elle est biaisée en l'absence de présence "concrète". Un détour doit être effectué pour retrouver un vrai discours entre les hommes. L'homme ne risque-t-il pas de se perdre lui-même s'il ne redécouvre pas ce qui est humain à travers sa propre création? L'éthique consiste justement à réfléchir sur le sens que donnent ces nouvelles technologies aux relations humaines. Tout ce qui est techniquement possible est-il nécessairement favorable à l'épanouissement des personnes? Non et c'est ce qui devrait engager la responsabilité des citoyens: le discernement et le refus de ce qui nuit au progrès de l'humain.

Par exemple, pourquoi crée-t-on des robots qui expriment des émotions, des sentiments et capables, dit-on, d'empathie? Ainsi se noue une dépendance presque humaine et ces robots peuvent tenir compagnie notamment aux personnes âgées, tout en assurant certains services. L'humain ne risque-t-il pas de se retrancher derrière les machines au détriment d 'authentiques relations? Les individus subissent un nouveau conditionnement soumis lui-même à des considérations financières et budgétaires. Mais une personne "aidante" n'est -elle pas préférable?
Ne faut -il pas refuser de laisser se développer des robots destinés à lutter contre la solitude?
L'exigence éthique s'oppose aux technologies qui appauvrissent les relations humaines.
D'autant plus que l'être humain est assez imaginatif et créatif pour trouver des moyens d'agir autrement et refuser de se perdre au nom du seul profit.

Il apparaît un énorme décalage entre les avancées très rapides des technologies depuis des dizaines d'années et celles de la conscience morale qui peine à proposer un cadre capable de justifier certaines limites aux usages de ces technologies. La conscience elle-même semble devoir se soumettre aux exigences financières.
La science "fondamentale" c'est- à- dire la pure recherche de la vérité scientifique, désintéressée, se trouve orientée par la finance, et conditionnée finalement par ses applications technologiques. La finalité humaine de ces applications tend à passer au second plan.
L 'exemple a été pris de la "dématérialisation"des banques qui, finalement, supprime la relation humaine. En l'absence de réflexion et de réactions, les individus s'exposent à une forme de totalitarisme masqué par la notion d'efficacité.

Les nouvelles technologies incitent fortement à la consommation et à la surconsommation (nouveaux portables, tablettes,etc.). Or ces technologies ne sont pas neutres puisqu'elles déterminent un type de société et interviennent dans la qualité des relations humaines. La question éthique est donc de savoir dans quelle société nous voulons vivre et quelles valeurs doivent être respectées: la surconsommation, le profit, la finance... sont devenus destructeurs en ce qu'ils négligent et écrasent la valeur de la nature en elle-même, des écosystèmes, des relations humaines etc.
La création et l' usage de technologies ne sont évidemment pas à proscrire mais doivent être réfléchis et maîtrisés par les "consommateurs". L 'exemple a été pris du S.E.L, services d'échanges local, qui agit dans une autre logique que celle de la consommation.

 

La crise économique est liée au gaspillage, aux inégalités sociales, à la pollution, aux dérèglements des différents systèmes. Reliées entre elles ces "crises" sont finalement une crise
morale à laquelle il faut relier aussi la crise politique. La valeur des paroles est mise en cause puisqu'elles ne sont pas suivies d'effets (on dit mais on ne fait pas ). Les techniques de communication sont détournées au profit de la maîtrise du pouvoir, comme peuvent l'être aussi les réseaux sociaux. Notre rapport au temps lui-même est conditionné par la technologie qui est censée le maîtriser, au risque de provoquer stress et angoisse... D'où une volonté de résistance: prendre le temps, être dans l'instant, ressentir les choses librement en dehors du regard des autres, de l 'image que nous aurions à donner de nous-mêmes.

Un mauvais usage des technologies oriente la société, détériore les relations, créé un sentiment d'insatisfaction. L' innovation, la création ne doivent pas se limiter au domaine technologique mais doivent s'exercer aussi dans le domaine éthique: l'apparition de valeurs innovantes est nécessaire au progrès de l'humain et à sa relation au monde, relation qui engage pleinement sa responsabilité.

 

Café du 30.09.15 : la société se déshumanise-t-elle ?

Télécharger
version à imprimer
café20150930.pdf
Document Adobe Acrobat 37.6 KB

Les technologies tendent à se substituer de plus en plus aux humains, notamment dans le monde du travail.
Exemple: des robots effectuent des "petits boulots", des machines donnent des ordres plus rapidement que les hommes, établissent des liens plus complexes, calculent plus vite etc.
Reste-t-il alors des humains oisifs sans revenus, ou fonde-t-on une société basée sur la valeur du loisir, créant sans cesse de nouveaux besoins?

Mais ce système de surconsommation n'est pas le seul possible et se voit d'autant plus contesté que tout le monde ne peut pas y avoir accès. Des systèmes alternatifs se mettent en place: échanges de services, de biens...donnant aux usagers plus de satisfaction en limitant les dépenses mais aussi le gaspillage, la pollution etc. Car finalement, quel intérêt la surconsommation présente-t-elle, quel bonheur assure-t-elle? A-t-elle vraiment un sens?
Seul le débat, favorisant une prise de conscience, peut empêcher le déshumanisme. Faute de débat public sur les nouvelles technologies (exemple fichages), la société risque de glisser vers une forme de dictature. De plus, ne sommes-nous pas encore victimes du positivisme, d'un optimisme illusoire sur la puissante capacité des robots à résoudre nos problèmes?
Car l'accent est mis non sur la science fondamentale mais sur la technologie, au détriment de la pensée et de la réflexion. L'efficacité et le rendement prennent le pas sur le questionnement éthique, au risque d'imposer une forme de totalitarisme.

Les limites humaines, intérieures et extérieures, sont dépassées par les technologies. Les sciences cognitives produisent, sur un écran, des images du cerveau en train de fonctionner . Il est devenu possible, par exemple, de faire communiquer deux cerveaux, éloignés dans l'espace, grâce à des signaux électromagnétiques. Se dessinent d'autres mondes possibles que nos mondes physiques finis habituels. Des méthodes d'apprentissage plus efficaces peuvent être envisagées. Les limites s'estompent entre le corps et l'esprit, le vivant et l'inerte, le vivant et l'artificiel (exemple, l'intelligence artificielle).
Mais qu'est-ce qui nous permet, finalement, de penser le cerveau? Notre pensée y est-elle réellement "enfermée"? Est -il bien le seul support de la conscience? Les nouvelles technologies ne pourraient-elles nous révéler des facultés humaines perdues à retrouver (dans le domaine de la communication, de la transmission par exemple, redécouvrir de façon biologique des connexions)?

Dans quelles mesures va-t-on transformer l'humain? Les nanotechnologies laissent entrevoir la possibilité d'augmenter la mémoire, de réparer au fur et à mesure les cellules grâce à des robots miniatures, de créer une humanité totalement maîtrisée par la technologie, une humanité auto créée, capable même de surmonter le temps et d'accéder à l'immortalité... C'est ce que vise le transhumanisme. La différence entre le monde virtuel et le monde réel s'estompe. (L'exemple a été pris de la sexualité virtuelle préconisée pour certains handicapés). Nous ne serions plus "comme" maîtres et possesseurs de la nature, selon l'expression de Descartes, mais bien maîtres et possesseurs de la nature par les sciences et les techniques.

Mais le rationalisme n'est-t-il pas mêlé ici de fantasme? La totale maîtrise semble toujours échapper à l' homme au moment où il croit pouvoir l'atteindre. N'est-ce pas le biologique qui est sans limite plutôt que la technologie?

La question est de savoir jusqu'où l'homme reste humain ou à partir de quand il risque de perdre son humanité? Ne fait-il pas partie aussi de cette nature dont il peut disposer, mais qu'il ne peut abusivement exploiter sans se perdre lui même? L'égoïsme du vouloir (ex.l'immortalité), et la marchandisation poussent vers l 'inhumanité.

 

Certes, le numérique introduit-il quelques changements, peut-être, dans le fonctionnement de l'esprit humain (homo numericus): nouvelles connexions, attention continue mais à des activités discontinues, utilisation du clavier, d'une mémoire virtuelle toujours disponible etc. mais le numérique ne peut pas tout supplanter. La particularité de l 'être humain est de ne pouvoir totalement partager le moment présent car il est propre à chacun, constitué aussi des affects créés par ses relations aux autres, aux choses, à la nature (un enfant, par ex., ne peut pas faire l'expérience de l'eau, de l'air, du feu sur des tablettes ). Ces relations ne sont pas seulement un jeu de neurones, ne sont pas visibles sur des écrans. La"vraie vie"ne se capte pas sur ces écrans, et ces relations multiples entre les individus créent quelque chose qui dépasse peut-être même la conscience individuelle, quelque chose comme un inconscient collectif selon l'expression de Jung.

Comment garder les traces de notre humanité? Un exemple a été pris dans "Les trois sœurs" de Tchekhov: quelles traces laissera-t-on de ce qu'on a vécu, malgré la photo qui vient d'être prise? Notre époque laisse des traces éphémères: architecture, art, mais aussi enregistrement, mémorisation, conservation des données constituant un patrimoine virtuel tributaire d'une source d'énergie et donc menacé de disparaître.
Notre pensée pourra-t-elle encore fonctionner sans mémoire virtuelle?

La crainte d' être supplanté par la technologie, de perdre notre liberté, de ne plus voir le sens de notre propre vie, crée une part de fantasme, une peur justement de la déshumanisation de notre société.
D'où la nécessité d'exercer toujours notre esprit critique, de réfléchir c'est à dire de penser ce qu' on est en train de faire. La pensée elle aussi produit des effets. Sciences et technologies ne doivent pas échapper aux jugements de la conscience humaine et exigent une réflexion éthique qui engage notre responsabilité. D'où le sujet proposé pour la prochaine rencontre: science, technologie et éthique.

Au cours de cette discussion a été signalé le livre de Monique Atlan et Roger-Pol Droit: Humain, une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies. Flammarion Champs essais.  2014.

 

Café du 29.04.15 : morale et économie

Télécharger
version à imprimer
café20150429.pdf
Document Adobe Acrobat 35.4 KB

Question posée: profit et morale sont-ils compatibles?

-OUI: il n'est pas immoral dans une économie de marché de faire du profit. Il est légitime de profiter du fruit de son travail. Différents exemples sont pris dans la vie locale.
Adam Smith (18ème siècle): La richesse des Nations. "Richesse" c'est- à- dire l'ensemble des choses nécessaires ou commodes à la vie. Source de production de la richesse: le travail, qui entraîne la productivité et produit les moyens de subsistance. Le profit du "bon marchand" est compatible avec l'intérêt de l'acheteur. La conjugaison des égoïsmes va dans le sens de l 'intérêt général, comme s'il y avait une "main invisible" qui coordonnait l'économie. Le marché peut donc être libre, d'où la justification du libéralisme économique. L' État n'intervient que lorsqu' apparaissent des conséquences imprévues et éventuellement nuisibles. Mais le lien social, fondé sur la sympathie, suffit habituellement à la régulation des rapports humains.
Selon le principe de subsidiarité ( Max Weber, fin 19ème-20ème siècle), en démocratie, les décisions se délèguent du bas (communes, sociétés civiles, organisations de citoyens ) vers le haut (centralisation), et jamais en sens inverse. L'honorabilité du marchand lui assure à long terme plus de profit qu'un manque de "vertu", nuisible à la reconnaissance sociale.
Pour les entrepreneurs, un code moral satisfait les salariés et assure généralement leur bonne conduite.
Il faut , en effet, donner un sens à sa vie qui ne soit pas uniquement le profit. Quelques exemples ont été donnés dans les entreprises locales.
La liberté apparaît indissociable de la responsabilité de chacun dans l'économie.
La mondialisation donne un cadre de vie commune. La notion d'exemplarité des élites semble essentielle; faute d'éthique, citoyens et salariés perdent tout scrupule à se montrer immoraux.

Mais NON, le profit et la morale ne semblent pas compatibles, comme on peut le constater par de multiples exemples: marché du vêtement fabriqué à bas coût, scandales alimentaires, exploitation des êtres humains, accroissement des inégalités sociales, impossibilité pour certains de vivre encore de leur travail (agriculteurs), et énormes profits des multinationales, destruction de l'économie locale etc...

Pourquoi? Parce que l'économie et le profit ont cessé d'être des moyens de vivre, pour devenir leur propre finalité au détriment des rapports humains, de la sympathie, l'amitié... Ils sont déconnectés de toute valeur morale ou citoyenne. Le profit n'est plus lié au salaire mais devient abstrait, virtuel, dans un monde de la finance déconnecté de tout rapport humain. Exemple: les Nouveaux Loups de Wall-street. Les ordres de bourse sont donnés par des machines plus rapides que les hommes, et des techniciens ne cessent d'essayer d'améliorer leurs performances.
Face à ce constat, le paternalisme est presque apparu comme un modèle d'humanité de l'entreprise et de la gestion sociale. 

QUE FAIRE? Boycotter le marché? Retirer son argent des banques? Résister à la société de consommation à outrance. (Exemple: les pays "colonisés" n'avaient pas nécessairement besoin de notre civilisation et de tous ses produits; que chaque pays redevienne responsable de sa propre économie). Séparer l 'économie et la finance. Éviter d'être complice de ce qui est contestable.

Économie et morale sont deux mondes différents. L 'économie ,en tant que science, se fonde sur des faits déterminables, se préoccupe d' efficacité, de ce qui est. La morale, fondée sur une réflexion éthique, est basée sur le jugement du bien et du mal; son domaine est celui de la légitimité, des obligations, de ce qui doit être.
Mais l'économie ne comporte-t-elle pas malgré tout des jugements de valeur de l'ordre du "devoir-être", donc de la morale ? Exemples: l'inflation peut être considérée comme bonne ou mauvaise; le ralentissement de la croissance comme mauvais en référence à une conception continuiste du progrès. Cette "simulation de certitude" est dangereuse, comme l'explique l'économiste Tomas Sedlacek dans son ouvrage :"L'économie du bien et du mal" édition Eyrolles 2009.
Des économies alternatives sont de plus en plus expérimentées: création de monnaie, troc, échanges de services (économie circulaire). Aspiration à redonner une dimension humaine aux échanges économiques.

Café du 08.04.15 : le pouvoir des médias

Télécharger
version à imprimer
café20150408.pdf
Document Adobe Acrobat 31.6 KB

 Jamais les moyens d'expression n'ont pris une telle dimension, ni la capacité d'information n'a été aussi grande. Quel pouvoir cette extension donne-t-elle aux médias? Qui en bénéficie? La démocratie?
 
En comparant avec ce qu'il y avait avant des regrets se sont manifestés:
-Augmentation du côté spectacle, "sensationnel", audimat, part de marché, publicité, lien avec le pouvoir financier et politique; les auditeurs étant devenus des consommateurs, les émissions présentent une moindre qualité.
On peut déplorer aussi une sorte de conditionnement, voire de manipulation. Les médias véhiculent une idéologie, imposent une vérité, exercent une autorité (voir par exemple le "syndrome du grand méchant monde" qui suscite la peur, favorisant ainsi finalement la consommation).
Le désir d'être le premier à annoncer une nouvelle, de susciter des réactions plus émotionnelles que réfléchies, conduit à amoindrir l'exigence éthique des journalistes. Deux milliards d'utilisateurs d' internet ont pris place à côté des professionnels des médias, d'où une certaine baisse de la qualité moyenne de la pensée publique, selon certains analystes.

Toutefois, ce pouvoir des médias est aussi un contre-pouvoir en faveur de la démocratie. Exemple du Printemps arabe. Il peut être un régulateur du pouvoir exécutif. Exemple: Médiapart.
Il permet de nouvelles formes d'union collective, de solidarité, de lien social. Exemple: la victoire française à la coupe du monde de foot.
Ce pouvoir est aussi fédérateur, source par exemple de la mondialisation (planète village).
Dans une certaine mesure, il est capable de véhiculer sa propre remise en question (certaines émissions d'analyse, chaînes plus neutres...).
D'où une stimulation de la pensée pour peu qu'il y ait une éducation adaptée, incitant à l'esprit critique, de plus en plus nécessaire face à la rapidité de l'information et au manque de filtre face au réactions émotionnelles (manque de pare-excitation contre ce qui est anxiogène d'où le risque de haine, de panique, de parole totalement décomplexée notamment dans les réseaux sociaux).

Comme la langue, tout média est à double tranchant: la meilleure et la pire des choses, disait déjà  Esope dans l'antiquité grecque. La pensée qui sort de la bouche des hommes peut véhiculer le bien ou le mal, la vérité ou le mensonge, la paix ou la violence, se mettre à la disposition de la liberté ou de la dictature, du terrorisme etc...

A chacun de refuser les méthodes du mal, la complicité avec ce qui est dénoncé. Prendre conscience de l'idéologie dominante (sur-consommation, monde menaçant, hostilité de l'homme pour l' homme, par exemple) pour lui résister. Car si autrui est une menace, comment maintenir le lien social?

Café du 25.03.15 : qu'est-ce qu'une oeuvre d'art ?

Télécharger
version à imprimer
CAFÉ PHILO du 25 mars 2015 à L'Entracte
Document Adobe Acrobat 57.7 KB

L'accord se fait sur les œuvres déjà reconnues: Velasquez, les cathédrales... Elles font partie de notre culture, traversent les époques, même si elles en sont pour une part le reflet. Elles sont considérées comme belles: la beauté est certes subjective, mais tout de même universelle. Les japonais admirent Notre Dame de Paris malgré la différence de culture et d'époque; une œuvre en ce sens dépasse les limites de l'espace et du temps. 

Il faut distinguer la beauté d'une œuvre et la beauté de la nature bien qu 'elles soient toutes les deux source de satisfaction car il s'agit d'une création humaine, impliquant nécessairement un savoir-faire technique. Mais l’œuvre ne vise pas pas d'abord un but utilitaire, en ce sens elle est désintéressée et originale, unique, puisqu' exprimant la pensée de l'artiste.

Mais cette satisfaction à la fois des sens et de l'esprit, est-elle immédiatement accessible? 

 

La contemplation de la beauté fait intervenir l'intelligence et suppose une éducation permettant d'accéder à une nouvelle vision des choses, incitant à les regarder autrement ou à voir ce qu'on ne voyait pas. 

L'inspiration transmise dans l'œuvre élève l'esprit, le sort de la banalité du quotidien, le fait d'accéder à une transcendance qui sort l'individu de ses propres limites. Les sources des œuvres d'art sont d'ailleurs souvent religieuses. 

Une œuvre nous touche, suscite une émotion, sans même que nous sachions pourquoi. Elle peut être belle alors même qu'elle exprime ce qui ne l'est pas, sublimant ainsi la réalité (voir par exemple les peintures représentant supplices ,crucifixions, guerre etc...).

 

Mais la question se complique avec l'art contemporain qui bouscule tous les critères: l 'œuvre n'a plus à être belle, peut être éphémère, incompréhensible sans les explications de l'artiste (ex.art conceptuel). L'exemple a été pris de Soulage, qui n'a été compris qu'après lecture explicative de ses œuvres. 

Mais alors comment reconnaître la valeur d'une œuvre? Comment discerner s'il s'agit bien d'une œuvre d'art plutôt que d'une simple provocation, voir d'un banal objet sans intérêt? Exemple des expositions proposées le long de la Vire ou à Cerisy.

 

Quelques critères de discernement sont conservés: la création, l'originalité, l'émotion, le caractère expressif: l’œuvre a quelque chose à dire, à communiquer; l'art bouscule toujours les codes, surprend, puisqu' il est création. Il est donc cheminement, ouverture, exige un esprit critique. C 'est pourquoi l'engagement n'est pas suffisant à l'artiste (ex.l'art de propagande).

 

Finalement comment s'y retrouver? Quelle est la limite entre l'art et n'importe quoi?

L'art n'est pas définissable puisqu'il est toujours en recherche, dépasse les limites jusque-là admises.

Peut-être doit-il faire sens par rapport à une nouvelle vision, compréhension du monde, tenant compte des techniques (voir des prouesses, par exemple la tour Eiffel), du progrès des sciences, de l'évolution des mœurs... L'art donne une autre dimension, parfois inconsciente, qui échappe à l'artiste lui-même, tente de dire l'indicible. Se maintient la notion de sublimation. Sans doute est-il aussi transmission, initiation.

Café du 11.03.15 : peut-on réellement communiquer avec autrui ?

Télécharger
version à imprimer
café20150311.pdf
Document Adobe Acrobat 33.7 KB

La communication est l'échange entre celui qui parle et celui qui reçoit, elle implique donc des interprétations de la part de ces deux subjectivités. Elle utilise des mots communs pour exprimer une pensée singulière. Comment concilier cette universalité du langage avec la singularité de la parole et de l'individualité de chacun?
Sans les conventions du langage, il serait impossible de se faire comprendre. "Passe moi le sel" par exemple est facilement compréhensible pour un français. Mais l'intonation, le geste, la façon de la dire peuvent donner à cette phrase des connotations différentes. Le langage et la pensée ne se limitent pas à la grammaire.
La polysémie introduit à la fois une richesse et une confusion possible dans le langage: un mot peut avoir plusieurs sens. C'est ce qu' utilise le langage "poétique" ou "symbolique" où on comprend qu'il faut entendre autre chose que ce qui est dit littéralement, par exemple: "vous êtes le sel de la terre." Si les mots peuvent avoir plusieurs sens, comment pouvons-nous être sûrs de vraiment nous comprendre?

Un remède: le dialogue. Ses conditions: l'écoute, la disponibilité, l'humilité, la réceptivité dans un véritable désir d'échanger et un effort de bonne volonté. Car la volonté de dissimuler, de dominer, l'hostilité, une trop forte affectivité et des ressorts inconscients, la peur, l'angoisse biaisent la communication.
Les charges culturelles, les croyances peuvent faire obstacle à la compréhension mais elles ne sont pas des barrières infranchissables. Si les traductions sont possibles, c'est qu'il y a tout de même une pensée commune à laquelle aucun être humain n'est totalement étranger. Au delà de l'utilité, la vraie communication transforme la vie, a-t-il été précisé.

Quel est le sens des techniques de communication? Elles constituent un outil (comme un couteau), qui dépendent donc de l'usage qu'on en fait. Ce sens est soit péjoratif : manipulation, communication sans pensée véritable (la com.), soit positif: elles aident à mieux se comprendre,à mieux s'orienter.

L' empathie est une capacité, pour les consciences individuelles, de s'interpénétrer par intuition, une sorte de sympathie ou neutralité bienveillante permettant d'accueillir l'autre sans a priori, de ressentir les choses avec lui, de le com-prendre ou prendre avec soi, c'est à dire d'être sur la même longueur d'onde, d'être en prise avec quelqu'un même si nos vécus sont différents. La psychologie sociale entend cette empathie comme un effort de compréhension intellectuelle de l'autre, sans affectivité et sans jugement moral.
D'où la possibilité par exemple de pénétrer des cultures étrangères, des époques historiques différentes.
L'empathie intervient aussi dans les techniques d'entretien.

Il n' y a pas de vie humaine (ni d'ailleurs animale) sans communication: il ne s'agit pas seulement de circulation des informations (communication de masse par exemple ) mais d' une vie de relation avec les autres, d'une prise en compte des autres ( le"vivre ensemble" ). Le bonheur apparaît non dans le repliement sur soi mais bien dans la relation.
Vaincre les distances par les moyens techniques ne suffit pas à créer de la proximité. Se faire proche de l'autre exige une communication personnalisée. ( le portable n’éloigne-t-il pas parfois de celui qui est à côté de soi) ?

La communication avec autrui se fait aussi à travers les livres, les œuvres d'art (les concerts notamment) .
Toute œuvre de création aspire généralement à se communiquer, puisqu'elle est en même temps expression de soi. Sa "contemplation"(ou écoute) est une authentique communication, voire communion avec l'artiste.

Café du 25.02.15 : peut-on tout pardonner?

Télécharger
version à imprimer
café20150225.pdf
Document Adobe Acrobat 32.4 KB

Le pardon doit d'abord être distingué de ce qu'il n'est pas. Il est différent de l'oubli, de la résilience (comme capacité de résistance à un choc, à un traumatisme), de la résignation et de l'indifférence.

Il n'est pas non plus de l'ordre de la justice: il n'exige pas le rachat d'une "dette"envers une personne ni envers la société pas plus qu'une punition. Il ne relève pas du domaine juridique car il n'a guère de sens au niveau du corps social mais concerne la conscience individuelle, le choix de la personne offensée ou blessée. L'amnistie, par exemple, consiste à effacer, à oublier, non à pardonner. La grâce présidentielle face à la peine de mort notamment, dépend de la conscience individuelle du roi à l'origine, puis du président de la République, par delà la justice. Les crimes contre l'humanité sont frappés d'imprescriptibilité: face à l'inhumain, ni la justice ni le pardon n'ont plus de sens. D'ailleurs, est- il possible de pardonner ce qu' on n'a pas subi soi-même ? N'est-ce pas là une limite au pardon? (discussion par exemple sur la pertinence d'un carmel à Auchwitz).

Le pardon n'est pas non plus du même ordre que la vengeance bien qu'elle soit aussi un acte étranger au domaine juridique.

Le pardon concerne la conscience individuelle. Il est d'ordre moral et/ou religieux. Il consiste à rompre l'engrenage de la haine et du ressentiment: donner par delà le mal. Par-donner. Rompre
l'irréversibilité; il est impossible de faire en sorte que le mal qui vient d'être fait n'ait pas été fait. Mais nous avons la liberté de le pardonner. Sans cette liberté et sans pardon ne serait-ce pas l'enfer?
"Le pardon, affirme Hannah Arendt, est la rédemption de l'irréversibilité ". Jacques Derrida parle de la "folie de l'impossible". Il s'agit d'un ordre supérieur.
Le pardon n'est pas motivé par le seul intérêt personnel d'aller mieux et de retrouver un bien-être, une sorte de survie égoïste. Il essaie aussi de comprendre l'autre, au delà de son acte, de chercher notre propre responsabilité, peut-être, dans ce mal. Mais il n'est pas autorisé, cependant, à passer outre le devoir de justice.
Ne peut-il être pourtant un acte de faiblesse? Comme pour tout acte humain, les motivations peuvent être ambiguës. Mais dans sa nature même de don, de gratuité, il est illimité. Plus l'acte et la culpabilité sont grandes, plus grandes sont les ressources en pardon. L'amour n'a pas les mêmes réactions que la peur.
Une personne n'est pas réduite à son acte, d'où une ouverture à l'espérance, au rachat, à la confiance rétablie. Il est possible de pardonner même si l'autre ne le demande pas.
Exemple du Christ : "Père, pardonne leur, ils ne savent pas ce qu'ils font", et l'injonction de pardonner même à ses ennemis. Ainsi, la réconciliation et la reconstruction sont toujours possibles.
La limite du pardon ne se situe pas dans l'acte à pardonner mais dans la grandeur d'âme de celui qui pardonne, dans l 'imperfection morale de l'être humain.
Ne faut-il pas savoir se pardonner aussi à soi-même? Il ne s'agit pas de se donner bonne conscience. La culpabilité n'est pas la mauvaise conscience et le regret permet une progression de la personne.

La seule faute impardonnable serait le crime contre la faculté de pardonner, un crime contre l'esprit : refus d' être pardonné ou refus de tout pardon, sorte de consécration du mal (voir par exemple le défi nazi).

Pascal a établi trois niveaux de la vie humaine , une hiérarchie des ordres :
  -  le corps, tourné vers l'extériorité, enclin à la vengeance.
  -  l'esprit, tourné vers l'intériorité, cherchant la justice.
  -  l'ordre de la charité, visant le pardon dans son effort de perfection morale.

Café du 04.02.15 : la tolérance

Télécharger
version à imprimer
café20150204.pdf
Document Adobe Acrobat 29.4 KB

Voir ce que comporte cette notion de" tolérance", l'analyser, afin de dépasser le niveau des opinions, de déblayer le terrain et de se poser finalement la question de la valeur de cette notion.

Côté péjoratif: condescendant, méprisant avec une forme de passivité puisqu'on tolère ou supporte ce qu'on ne peut empêcher. La tolérance comporte de plus un côté arbitraire, dénoncé par exemple par Mirabeau à propos des religions: les tolérer suppose que je pourrais ne pas les tolérer, ce qui paraît assez tyrannique.
Je ne les "tolère" pas, je les respecte, a-t-il été souligné. L'autre n 'a pas à être toléré mais respecté en tant que personne libre de ses choix.

Pourtant "la tolérance" est un cadre nécessaire à la démocratie, une notion politique, civique,  même si le libre échange des idées, totalement libre dans un cercle privé, tombe dans un lieu public sous le coup de la loi. Exemples: le révisionnisme, le non respect des lois mémorielles. .. Intervient alors la notion d'ordre public, de non incitation à la violence, à la haine raciale etc. Tout dérapage incite à recourir à la justice. Au nom de "la tolérance"on ne tolère pas les propos racistes par exemple. C'est un devoir de ne pas tout tolérer. L'exigence est de gérer l'étrangeté de l'autre, la diversité des cultures tout en respectant l'unité du genre humain comme devoir moral et civique. C'est ce que tente de concilier la notion de laïcité, la laïcité étant le fait d'un État, et non des individus qui le composent. Il s' agit précisément d'assurer à chacun la liberté de choisir son chemin, de savoir où il veut aller, c'est à dire de donner un sens à ses actes, à sa vie. La démarche philosophique exige justement cette liberté et cette responsabilité de la personne.

La tolérance est un cadre et non un idéal. C'est un concept flou, une notion molle d'où les difficultés rencontrées dans la discussion. Car "LA tolérance" est un minimum exigé, une condition de liberté, mais "JE tolère" reste suspect; il reste à chacun à se situer dans ce cadre, dans ses relations avec autrui.

Café du 21.01.15 : la liberté de s'exprimer

Télécharger
version à imprimer
café20150121.pdf
Document Adobe Acrobat 34.0 KB

Ce premier café-philo se place d'emblée sous le signe de la liberté de s'exprimer, raison d'être de notre réunion. Un constat : forte sollicitation de l'émotionnel, très largement véhiculé par les médias à la suite des récents attentats. Peut-on s'en extraire au profit d'un discours exclusivement rationnel?
Comment échapper à une incompréhension dans le dialogue dès lors qu 'on ne se situe pas sur le même plan les uns et les autres, que nous n'avons pas la même culture, au niveau individuel, personnel, et, à plus forte raison encore, si nous n 'appartenons pas à la même culture au sens sociologique du terme?
D'où l' interrogation : au fond, que voulons-nous exprimer? Des idées? Des opinions? Quelle différence?

Les opinions: les pensées de chacun sur les questions politiques, sociales, économiques, religieuses. . .
D'où viennent- elles? Des médias pour une bonne part, qui véhiculent une pensée sociale dominante qu'on peut qualifier d'idéologie c'est-à-dire un ensemble d'idées d'origine plus ou moins inconsciente qui s'impose comme représentant la réalité. Notre liberté de penser n'est -elle pas aliénée par cette médiatisation? 
Pire, n'y a-t-il pas manipulation par ces médias liées aux pouvoirs politiques et économiques? Notre pensée est remplie d'idées reçues, de réponses toute faites à des questions que nous ne nous sommes pas vraiment posées, de pré-jugés liés aussi à notre milieu de vie, nos désirs, nos intérêts. .. C 'est ce que Socrate voulait démasquer dans les rues d 'Athènes par ses dialogues avec les gens qui croyaient savoir là où ils ne savaient pas, comme nous le faisons tous, l 'essentiel étant de s'en rendre compte afin de commencer à se poser des questions, à réfléchir... " Je sais que je ne sais rien", disait-il, mais ce savoir est essentiel car il conditionne la recherche, le dialogue fait de questions et d'essais de réponses, toujours elles-mêmes à leur tour interrogées.

Les idées: soumises à l 'esprit critique, au raisonnement et à l' argumentation, elles exigent un cadre de pensée et se situent dans une recherche de vérité, de dépassement justement des "opinions". Fondées sur la raison, qui est le propre de l 'homme, les idées prétendent accéder à l'universalité : tout homme peut les comprendre (du moins dans sa langue, mais il y a toujours une traduction possible, aucun humain n 'étant absolument étranger à notre pensée ).
Les droits de l'homme, par exemple, sont fondés sur l'universalité de l'idée de respect de l'être humain, de sa vie, de sa liberté (même s'ils ne sont pas partout appliqués ) .
Mais la question a été posée: y -a-t-il vraiment des idées universelles? L'idée de paix par exemple? La valeur de nos idées est-elle réellement supérieure à celle des autres? Est-il légitime de vouloir imposer ses idées aux autres? Voir de mourir pour des idées? Lors d'échanges avec d'autres cultures ne s'agirait-il pas d'une forme de colonialisme?

Dans ces conditions, que signifie la liberté de penser? Selon le droit en démocratie, nul ne peut être inquiété pour ses idées, ni pour ses "opinions". Certaines "opinions" n'ont pourtant pas le droit d'être exprimées en public, par exemple celles des racistes ou des terroristes, celles qui incitent à la haine, à la violence...

Faut-il distinguer la liberté de penser et la liberté de s'exprimer? Y-a-t-il des "opinions"interdites ?
A été évoquée la laïcité comme garantie de liberté , les "opinions religieuses" relevant de la sphère privée.
Mais la laïcité ainsi comprise est-elle garante de liberté, ou au contraire, facteur d'ignorance? La religion, souvent présentée comme source de violence, n' a-t-elle pas aussi une puissance d'incitation à la paix, à l'amour entre les hommes? L'obscurantisme est-il exclusivement du côté des religions? Non a-t-il été souligné (voir par exemple les atrocités du 20ème siècle).

Ne pas pouvoir dire ce que l'on pense est source de violence. Mieux vaut s'exprimer par la parole, discuter, essayer de convaincre par des arguments raisonnés, de négocier. La liberté d'expression est le principe même de la démocratie selon Tocqueville. L'autre doit avoir le droit de dire ce qu 'il pense et je dois avoir le droit de dire que je ne suis pas d'accord.
Cette liberté doit pourtant être conjuguée avec le respect de l'autre. Faut-il en ce sens lui imposer des limites et comment les déterminer? C'est toute la difficulté... Exemple donné : la loi interdit les propos racistes, le non respect des lois mémorielles (shoah, négationnisme...) mais n'interdit pas le blasphème alors même qu'il peut inciter à la violence ( l'histoire devient-elle une valeur "sacrée"? ). L'interdiction, la répression, ne doivent pas se substituer à l 'éducation aussi bien civique que morale...

D'où le thème proposé pour la prochaine rencontre: la tolérance.